Vigie, janvier 2013

 

CROIRE EN LA BONTÉ ?



Un merle affolé traverse en silence dans l’air lourd, dans l’air coupant, presque irrespirable — comment croire en la douceur quand il fait si froid ?

En la beauté on peut croire — en cette beauté de marbre de Belledonne en hiver avec ses pâleurs, ses reflets, ses nuages flous que forment au flanc nord de la montagne les feuillus couverts de neige, ses messages tracés dans la neige des ruelles par les cerfs qui redescendent ; en la beauté on peut croire, mais en la douceur ?

Regardant les chattes Dana et Onça (qui dorment roulées en boules), je repense à cette histoire d’un camion chinois accidenté avec à son bord un millier de chats entassés, vingt-cinq par cages, pour être mangés. D’autres images viennent de vaches, de chevaux, de porcs, de volailles industriellement torturés — comment croire en la bonté ?

Il faudrait pouvoir faire passer ce caillot noir dans les veines, ce sanglot froid dans la gorge, il faudrait pouvoir faire circuler l’eau claire de la bonté sous la glace, anticiper la débâcle, voir dans l’affolement du merle les prémices du printemps, et dans cette couche neigeuse une manière qu’a la terre de se protéger du froid. Il faudrait pouvoir à volonté libérer son cœur de l’hiver (on repense alors à ces Chinois qui, voyant l’accident, ont aussitôt tenté de nourrir les chats affamés, on se dit que l’homme, somme toute est naturellement bon, qui supporte si mal de voir la souffrance des hommes et des bêtes qu’il envoie à l’abattoir).

Il faudrait pouvoir chanter comme Bernard de Ventadour la joie en hiver, la joie de l’hiver, avec ce cœur « plein de joie » : « J’ai le cœur si plein de joie / qu’il transmue nature /le gel me semble fleur blanche / vermeille et dorée… »

Il semble pourtant que le chant ne nous vienne pas facilement…

Le merle ce matin traverse l’air tranchant sans le moindre trille (on n’entend pas même le bruit de ses ailes).

Saisi par le froid j’ai rallumé le feu, y ai jeté les bûches du bouleau coupé par mon père — le feu maintenant fait un doux bruit continu comme d’une sorte de cascade (c’est la sève, je crois, qui coule du bois encore vert).

Je suis sorti remplir les mangeoires de graines de tournesols (en ai jeté aussi une poignée sur la tombe du chat pour que son fantôme fasse de beaux rêves); les troupes des pinsons se rassemblent, on entend les premiers pépiements.

J’ai tracé ces lignes sur le carnet comme une sorte de prélude à un poème à venir, censé annoncer le printemps.

Les chattes guettent avec moi les oiseaux ou le soleil. On se rassure comme on peut. On se réchauffe au foyer. On tente coûte que coûte de croire en cette douceur. Une bûche, en s’effondrant, fait un bruit de cymbale.

17 janvier 2013

 

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