Notes de Madère (été 2013)

COMME LES DÉBRIS DU RÊVE

 M09

Comme des débris ramenés sur la grève les rêves de la nuit refluent au hasard du jour. Dans celui-ci je pleure à grosses larmes enfantines parce que ma grand-mère est morte. Mon père ne comprend pas. J’en suis moi-même étonné, car je ne pensais pas que la disparition de cette « petite vieille femme » aux mille manies me serait si douloureuse, ni que je lui étais tellement attaché. « Éprouver et surmonter une perte » n’est jamais « une mince affaire » me souffle J.B. Pontalis !

Dans cet autre rêve, je compare l’écriture du stylo à celle, plus noble, plus déliée, plus enviable, des nuages dans le ciel, des branchages dans la forêt, des ombres ou des galets sur la plage, etc. Je dis mon souhait d’une écriture aussi « naturelle », aussi gratuite, aussi vaste, aussi anonyme, aussi précise que celles, informes, informelles, de la nature.

Les rêves nocturnes s’immiscent dans la « réalité » diurne, qui n’est qu’un autre rêve en cours d’élaboration : ainsi de ces images de Léo et Clément qui laissent soudain entrevoir avec une certaine précision les grands enfants, les adolescents, les adultes qu’ils seront. On éprouve alors une nostalgie ravivée pour leur enfance, comme si le fait d’accompagner l’enfance de ses enfants n’était qu’une manière de raviver, de redoubler, de ranimer cette nostalgie de sa propre enfance qu’on ne pensait pas si vive, qu’on n’avait même pas tellement l’impression d’éprouver — de même qu’on n’avait pas compris, avant le rêve, à quel point on aimait cette « petite vieille femme » aux mille manies dont on attendait naguère le coup de téléphone et qu’on écoutait pourtant, ensuite, trop distraitement.

*

Le séjour dans l’île cependant suit son cours, malgré les menaces qui en bordent la dérive comme une sorte de brouillard. en lequel on s’est perdus, hier, ratés de peu sur un chemin large, les voix ne portant plus, après une trop longue montée qui avait fait frôler à ma mère le malaise.

Ce moment-là me semble, sur le moment et rétrospectivement, l’un des plus significatifs du voyage.

On s’est trompé dans le choix de la randonnée, qu’on pensait sans dénivelé. La montée à travers les ajoncs, sous un soleil violent, a été rude. Il a fallu porter les enfants dont les épines déchiraient les jambes. Nathalie et moi avons pris de l’avance et atteint le col en laissant derrière nous mon père et ma mère. Le brouillard est venu qui a tout effacé. Longue attente, puis Nathalie me laisse avec les enfants et part retrouver mes parents.

Le temps passe. On n’y voit rien. Elle ne revient pas. Personne ne vient. Les enfants sont inquiets. Je commence moi-même à sentir l’oppression monter, comme si tout ce brouillard empêchait de respirer. Pour faire passer la peur je photographie le brouillard, et les enfants dans le brouillard. Personne ne passe. Que faire ? Monter, descendre ? Soudain j’entends des voix, j’aperçois des silhouettes – mais ce sont des inconnus qui me saluent en portugais.

L’inquiétude gagne. J’appelle, personne ne répond. Je crie plus fort, et les enfants crient avec moi, mais personne ne répond. Le brouillard absorbe nos voix. « Papi ! Mamie ! Maman ! » et plus rien. Juste le grésillement du brouillard. On continue à crier en vain, sans rien voir ni entendre. Je tends l’oreille, croyant déjà entendre la sirène des secours que, sans doute, il a fallu appeler… Puis un rayon de soleil perce et l’on entend aussitôt la voix salvatrice de Nathalie, redescendue depuis longtemps avec mes parents et qui m’appelle depuis le parking en contrebas.

Je n’avais jamais pu mesurer à quel point le brouillard absorbe les sons.

Avec la fin de la première semaine, le proche départ vers la ville, vient aussi l’inquiétude de savoir si les piqûres non réfrigérées auront été efficaces. Dans le cas contraire, ce sera l’hospitalisation et la fin anticipée du retour à Madère.

2 août 2013

Ce contenu a été publié dans Plus loin. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.