Vigie, octobre 2019

 

 

 

Un dimanche

 

 

Vigieoctobre2019jardin

 

 

C’est encore un dimanche d’automne doré et doux, un dimanche de vacance et de solitude apaisée. Dans le village et la maison les enfants, qui sont de moins en moins des enfants, mènent leur étrange vie parallèle, proche et lointaine, faite de jeux incompréhensibles, d’apparitions et de disparitions, de courses parmi les feuilles et de régressions pixellisées. Treize ans, je m’en souviens, est un âge de grande bascule où le monde s’assombrit, et je me revois tenant en main le disque de Thiéfaine qui le disait assez. Je regarde s’éloigner l’enfant-qui-n’est-plus-un-enfant et m’étonne de cette sorte de dédoublement diffracté qui brouille les lignes du temps plus confusément que dans tous les films de science-fiction…

 

C’est un dimanche de liberté redoutable, où l’on n’a plus aucun prétexte pour ne pas se mettre au travail, id est se plonger dans l’écriture de ce roman auquel on pense sans arrêt mais qu’on ressent comme une menace, une mauvaise pente qui, si on la suit jusqu’au bout, ne peut mener qu’à la disparition de l’être réel qu’on était au profit d’un double de papier. Installé à la table jaune des combles je regarde la cime défaite du vieux poirier qui tangue sur fond de ciel gris clair, le ballet des bouvreuils dans le jardin jonché de feuilles, ou la sieste agitée du chat. Casque sur les oreilles je regarde un film sur Berlin est qui me remplit de nostalgie (car, de fait, je partirai dans cinq mois pour Berlin), j’écoute longtemps le jazz fiévreux d’un des tout derniers disques de Coltrane – puis retour au silence.

 

Un coup de feu.

 

Une mouche qui bourdonne à la fenêtre de toit.

 

Le monde entier semble fébrile, tendu vers l’attente de quelque événement incertain dont on ne sait s’il sera un bienfait, ou une catastrophe.

 

 

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