Vigie, février 2022

 

 

 

Comment croire ?

 

 

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Comment croire qu’à quelques centaines de kilomètres d’ici – d’ici où il fait beau, où la montagne ne résonne que des chants d’oiseaux et du ronronnement des grenouilles dans la mare pas encore irradiée, où mon chien russe flâne avec toute l’insouciance et la candeur d’une bête qui ignore tout de la violence parce qu’elle n’a jamais connu que paroles douces, caresses et flatteries –, comment croire qu’à quelques centaines de kilomètres de ce paradis ordinaire la guerre s’est réveillée ?

À cause des images qu’on n’a pas pu ne pas regarder, presque continûment, depuis trois jours, sur les écrans (ce n’est pas parce qu’on se sent impuissant qu’on doit se détourner), on croit voir défiler dans le fouillis des feuilles, avec une lenteur affreuse, la file interminable des voitures où femmes et enfants se terrent avec leurs valises, leurs chiens, leurs chats et les jouets des petits, pendant que les hommes combattent. Personne n’y comprend rien, comment comprendre ? Comment comprendre qu’on puisse être assez fou pour volontairement provoquer un désastre ?

Ici on marche quand même dans la lumière du printemps, on sourit à cette passante que l’on croise (la première depuis des mois). Il n’y a pas de soldats morts le long du Gelon mais dans la lumière d’argent on a froid. Les traces de la grande tempête de décembre s’effacent peu à peu, on peut même passer sans ramper là où les troncs ont été dégagés. Plus tard aussi s’effaceront les traces des combats. On reconstruira des maisons. On essaiera peut-être de bâtir un monde nouveau, plus uni, autour d’une Europe enfin consciente d’elle et porteuse d’idéaux. On célébrera les héros de la résistance ukrainienne, et on aura raison. On pleurera moins les hommes, les vieillards, les femmes, les enfants disparus parce que « le sang sèche vite en entrant dans l’histoire » – alors on écrira des chansons pour se souvenir, et on aura raison. Mais pour l’heure on pleure pour nos voisins et on a peur pour nous, on a peur de demain : Mars est le mois de la guerre.

 

28/02

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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