Vigie, mars 2015

 

 

INTERMINABLEMENT, LA PLUIE

 

Mars s’achève dans le crépitement des averses, qui fait comme un cocon dans lequel on se love. L’artifice du changement d’heure imposée à l’horloge associé à la pluie nous replongent dans l’obscurité et la fatigue de l’hiver. L’épuisement me gagne. Trop roulé, trop parlé. Je ferme les yeux. Les enfants qui regardent ce dessin animé qui, lorsque j’étais enfant, me fascinait aussi parce qu’il parlait de Barcelone, des Andes et d’un très grand condor, les enfants me ramènent à ma propre enfance autant qu’à la Guyane. Je ferme les yeux. Les sons que je perçois – rumeur de la pluie, voix du dessin animé – me donnent alternativement l’impression que je suis revenu dans l’enfance et la maison de Rémire. 

Ainsi ce mois aura-t-il été marqué par ces retours, ces velléités voyageuses et nostalgiques autant que printanières.

Au courrier de ce jour une lettre de Joël Vernet me ravit, qui, évoquant L’éloignement, me dit qu’« il est à parier que ces années passées en Guyane demeureront très longtemps fécondes, parvenant à prolonger l’aventure désormais à partir d’un jardin, d’un lieu plus fixe, mais qui peut être aussi un mouvement éternel. » Il ajoute que le défi est là, que sans doute je relève.

C’est bien, c’est vraiment cela ; et la pluie qui roule sur le toit déploie à sa façon le chant de la quatrième partie du « voyage ». Le livre, cette fois, n’aura pas été tout à fait vain, puisqu’il continue – au gré des rencontres, des lectures, des échos renvoyés par les lecteurs et des réminiscences – à remettre en mouvement ce qui menace de se figer et même, parfois, à l’improviste, rouvre des plaies. (Évoquant avant-hier Éliton en public, voici soudain que la voix me manque et que je me retrouve désarçonné devant cette béance que je n’ai pas vu venir, que je ne pensais pas trouver là, dans une zone de ma mémoire que je ne surveillais pas.)

Interminablement, la pluie.

Et la nostalgie, vieux Kafû, la nostalgie sans fond de celui qui, « dans la lueur du soir », aura connu et connait quotidiennement « la fin d’un monde ».

Ici comme là-bas, « l’ennui et la ferveur de l’exil » − comme l’écrit Vernet. 

Pour crépiter encore un peu j’ai ajouté ces lignes pluvieuses en guise de testament de mars, puis j’ai sombré, inconsolable, dans des rêves d’enfance, de Guyane et de pluie.

 

30 mars 2015 

 

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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