Vigie, juillet 2019

 

Juillet2019

 

 

De ce mois-ci je garde un souvenir de venin et de lavande.

 

Je venais d’avoir quarante-quatre ans, « la moitié de la vie » comme disait Michel Leiris à propos de ses trente-cinq ans, avec un certain pessimisme pour ce qui le concerne car il est mort à plus de quatre-vingt dix ans, et un probable optimisme en ce qui me concerne, car l’espérance de vie en France est pour les hommes d’un peu moins de quatre-vingts ans – mais peut-être mon mode de vie irréprochable de végétarien non-fumeur peu porté sur l’alcool ainsi que mon tempérament assez peu viril me permettent-ils de me ranger dans la catégorie féminine, pour laquelle l’espérance s’élève à plus de quatre-vingt cinq ans (chiffre cependant trompeur qui ne tient compte ni de la santé des survivantes, ni de l’épidémie de cancer et des catastrophes en cours, et me suggère par ailleurs avec une certaine cruauté que ma mère, morte cinq ans auparavant à l’âge de septante ans tout rond, aurait pu raisonnablement prétendre à quinze années d’existence supplémentaires, et la vie dès lors aurait été bien différente, tous les cataclysmes différés d’une décennie et demie).

 

Je venais d’avoir quarante-quatre ans et, malgré un sentiment d’épuisement ponctuel mais tenace, j’étais comme on dit « encore jeune » et il me restait beaucoup à vivre. Je m’apprêtais à partir en Allemagne avec les enfants. Je passais sur le tard les épreuves de mon « initiation », les ratant, les réussissant quand même. C’était chaque jour dans la maison et le village du Villard et alentour une sorte de colonie de vacances car Martin et Prune étaient revenus du Canada et la bande de copains qu’ils formaient avec River et Clément s’était aussitôt reformée, comme si les deux années de séparation n’avaient jamais existé. Je marchais dans les bois, je relisais une fois de plus À la Recherche du temps perdu, et j’écoutais en boucle l’album Pulp des Canadiens de The Seasons en m’émerveillant de cette jeunesse hors du temps qu’incarnaient si bien les frères Chiasson, avant la métamorphose nocturne du tonitruant Hubert.

 

Parce qu’on n’arrive pas à se représenter le pire quand on garde une vie confortable, je restais plein d’espoir.

 

Le Villard, 18 juillet 2043

 

 

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