Ma vie est un naufrage, mais je n’y peux plus rien !
Jean Guidoni, « Visages »
LA BEAUTÉ
Les scories les crasses les fumées des usines
à la lumière d’automne font d’assez beaux nuages
et la buée, la poussière, la toile à la fenêtre
du paysage terne un pastel admirable
ainsi le monde se pare de ses voiles
contournant tout obstacle
détournant tout détour
au seul profit de la beauté.
9 septembre 2017
SORTIR DU BOIS
Les cerfs sortent du bois. On se réjouit de les voir traverser d’un pas lent, tâches cuivrées dans la lumière d’automne et les champs jaunissants ; puis on comprend que leur présence en lisière est d’abord due au grand dérangement de la chasse.
Alentour le malheur aussi jette les gens en dehors de leur maison, et ce sont les mêmes regards égarés, les mêmes plages de quiétude aussi peut-être pour l’enfant qui joue devant les barbelés.
De tels mouvements, même désespérés, restent pourtant portés par l’espoir d’une rencontre heureuse, d’une vie meilleure peut-être.
Puissions-nous avancer d’un pas sûr en évitant les balles.
12 septembre 2017
LES GRANDES DÉCOUVERTES
(« et les autres, innombrables, petites… »)
Ici dans le froid clair et l’étonnement de renaître en automne
tu te découvres
petit pommier perdant ses feuilles
offrant ses fruits.
En lisière du bois noir, furtif, hagard
ils se découvrent aussi les
faons affolés par les abois des chiens
et le grand cerf nerveux.
Longtemps enfoui dans le réseau des rhizomes
et des désirs souterrains
voici qu’en plein jour se découvrent
les coulemelles épanouies.
Les crêtes ont blanchi
l’enfant a grandi qui bientôt se découvre
un petit peu moins enfant
et le temps passant toi aussi te découvre
posant sur toi sa grande main douce
− car le temps accueilli pourrait être un allié.
13 septembre 2017
DES ANGES ÉTRANGES
(et des rapprochements incertains)
Dans le silence des cellules
au premier froid, au dernier mot
passé le sas de la fatigue
franchi le cap de la pudeur
dénudées
inconscientes
fragiles
comme les pattes des faucheux
se rapprochent les mains
de l’amant vers l’amant
des parents vers l’enfant
nouveau-né
du fils vers la mère
épuisée
et la vie passe ainsi
légère, feutrée, imprévisible
comme le vol des chauves-souris
qui sont dans la nuit froide d’étranges anges,
d’étranges anges, vraiment.
18 septembre 2017
TROIS DEGRÉS
Trois degrés
prés givrés
écharpe de brume
trop légère pour habiller
la montagne froide.
Trois degrés
le chasseur-cueilleur
tarde à se lever
il pense à l’hiver qui viendra dans sa grotte
en ours mal léché.
Trois degrés
les cerfs sont de sortie
qui nous regardent de haut en bas
dans le brouillard
avec leur fixité d’outre-monde.
20 septembre 2017
© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.