Vigie, octobre 2022

 

Les travaux d’octobre

 

 

Au dernier jour de Septembre le temps était si sombre, si froid, si opaque, que je me suis trompé plusieurs fois en annonçant l’advenue imminente de Novembre. C’est pourtant bien Octobre qui resplendit aujourd’hui, un octobre chatoyant, riche en odeurs végétales et animales (les vaches restent dehors), en offrandes aussi. À intervalles réguliers le chemin est parsemé de châtaignes énormes, dont un voisin est occupé à remplir son panier ; plus loin ce sont les noix, les pommes, les rosés, les coulemelles en baguettes de tambour…

Les bêtes ne sont pas en reste. Corneilles et geais s’affairent dans le verger, une mésange ébouriffée s’empêtre dans un grillage puis repart en protestant. Hier, Nathalie a trouvé une salamandre mourante (ou peut-être déjà morte, intacte en apparence) sur le bord de la route : j’en ai été jaloux, puis je me suis dit que c’eût été pour moi un présage bien funèbre. C’est vivante que je veux la revoir, ma salamandre, rescapée du grand massacre automobile.

Comme je descends le chemin creux qui mène à La Martinette, le clair-obscur dans lequel baignent les monceaux de châtaignes et de bogues éclatées me semble soudain un peu lugubre, et ces images autant de vanités ; puis voici la petite maison aux volets bleus où je rejoins Élodie. De nouveau on parle travaux : dans un premier temps, il s’agira d’aménager le sous-sol en bureau-atelier-chambre de stockage. Avec un pied de biche, une scie, une faux, une lime à ongles, on tente d’arracher l’isolation en polystyrène pour pouvoir placer du placo au plafond. Cela fait des années que je n’ai pas ressenti ces sensations : la poussière et le crissement du polystyrène (c’est le « chant du Styrène »), l’écho des coups dans la cave, l’effort physique. Ce n’est pas plaisant, mais cette vie nouvelle qu’on reconstruit ici en revanche, l’est. Depuis la petite cuisine verte je savoure cette atmosphère de paix que j’ai dès le départ associée au hameau de La Martinette mais que je ressens maintenant de l’intérieur, du point de vue du locataire que je suis aussi un peu, même s’il s’agit de la maison d’Élodie ; puis Rimski s’impatiente et l’on reprend notre tour.

On suit le chemin détrempé jusqu’à l’écluse qui est encore en travaux. Un coup de vent, une pluie de feuilles, des remous. Les feuilles jaunes sur la terre très sombre, le grand tronc nu tombé l’hiver dernier en travers du sentier et qui fait comme un portique sous lequel on passe sans se courber, l’alignement des coprins, les girolles charnues dans la mousse, les faisceaux du soleil qui passent à travers les branches et allument au hasard des cercles de lumière mouvante, l’air tiède saturé de senteurs, me plongent dans une torpeur bienheureuse dont seuls les bonds de Rimski viennent me tirer : traversant à toute allure un tronc en travers du Gelon puis grimpant en zigzag le long d’un épicéa, voici la martre au pelage sombre et à la longue queue dépliée. On la regarder s’en aller, Rimski grâce à la laisse et aux caresses semble d’humeur contemplative, bucolique, presque passive (il suffirait bien sûr de le détacher pour qu’il fonce à la poursuite de la bête). 

02/10/22

 

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