Vigie, janvier 2024

 

Incitation à continuer

 

 

Le soleil de trois heures fait fondre la fragile banquise qui recouvrait les champs d’une fine couche blanchâtre et qui craque encore un peu sous le pas dans les passages restés à l’ombre, derniers biscuits d’un hiver trop bref. Je flâne avec Nouchka, bien remise de son opération et qui, exaspérée par le pansement et l’inactivité forcée, profite de la moindre halte pour creuser la terre. Il y a de longues ombres projetées sur le champ vert-jaune, et puis la tâche d’un blanc éblouissant de Nouchka qui ne doit pas courir mais qui le fait quand même. On évite la gouille où les bouleaux trempent leurs reflets et où la chienne n’a pas le droit de patauger et l’on file vers le bois en fermant à demi les paupières.

Un scarabée vol dans l’air tiède. Des troupes de tarins et de grives se déplacent d’arbres en arbres en criant. C’est un paysage de mars que l’on traverse, mais pris dans une lumière nette, tranchante, qui reste lumière d’hiver. Après tant d’heures passées allongé à lire Deligny, pour ma part, ou à rêver de terriers, de chevreuils et de neige peut-être pour ce qui est de Nouchka, retrouver ainsi le chemin familier nous fait, à l’un comme à l’autre, le plus grand bien. Cela n’inspire aucune réflexion d’ordre intellectuel, tant homme et chien ne sont plus, dans ces moments-là, que réflexion sensible dont la parole et l’appareil photo fixent quelques fragments : l’araignée qui se faufile entre les feuilles mortes des chênes ; la combe illuminée où se promène le fantôme de ma mère ; le bois froid et humide où les chevreuils camouflés par les troncs nous regardent passer sans bouger, trahis seulement par leur odeur et par ce croupion blanc qui se détache dans la pénombre.

Sur la crête froide, face à la vallée blanche et aux deux pics immaculés du Petit et du Grand Arc qui se découpent dans le ciel impeccablement bleu, la fine pellicule de glace craque à nouveau. À présent j’y vois des continents à la dérive, la carte déchirée d’un paysage en mutation, un adieu aux hivers de l’enfance, et puis une incitation à continuer à marcher (parce que ce craquement sous les bottes est exquis) et à écrire (parce que tout cela est très beau).

01/01/24

 

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