Vigie, décembre 2009

 

 

LE PEU QUI RESTE DE LA NEIGE

(FRAGMENTS DE DÉCEMBRE)

 

Vigiedécembre2009

 

 

Cette nuit, rêve de neige et d’orignal : je retrouve la solitude du bureau après deux jours passés en compagnie de Jean Morrisset et Pascal Naud à deviser, à flâner, à voyager, à écouter des histoires d’orignaux et de neige…

À neuf heures la deuxième averse de neige de l’hiver tombe (je regrette que Jean et Pascal n’aient pas pu voir la vallée sous la neige). Je reste sous les combles à regarder la neige. Aucun bruit. Juste le ronronnement du chat roulé en boules à mes côtés, le tic-tac de l’horloge, le tremblement intermittent de la flûte shakuhachi.

L’averse est superbe.

 

4 décembre 2009

 

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Journées sans lumière, et la pluie tombe sur la neige fondue.

Jardin boueux, paysage barré.

C’est ainsi. Rien de plus.

 

7 décembre 2009

 

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Premier jours de vacances et nouvelle grande averse de neige. Tout le pays et blanc. L’oreiller céleste, que l’on sentait sur le point de céder depuis plusieurs jours, a enfin crevé. Les rares voitures roulent au pas parmi les tourbillons. L’enfant voudrait sortir jouer dans la poudreuse sans attendre la fin de l’averse. Il s’impatiente. Je relis avec lui l’histoire de Tachi, le petit Tibétain aux tingshas (ces petites cymbales au son cristallin utilisées dans certains rituels). Puis vient l’heure de la sieste. Les deux chats et moi prenons nos quartiers d’hiver devant la fenêtre du bureau, aux premières loges pour ce spectacle grandiose et monotone.

« Oh, la neige !… Regarde la neige qui tombe… »

 

18 décembre 2009

 

 

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Que reste-t-il d’une culture quand plus rien ne reste ? Que reste-t-il d’un peuple quand se sont effacés la langue, les coutumes, le souvenir des chants, les contours du territoire confisqué ? Que reste-t-il quand l’assimilation forcée est parvenue à son terme ? Que reste-t-il à l’Indien clochardisé ?

L’envie de vomir et de se tirer une balle dans la tête. Quelques rêves, et des visions. Parfois un regard qui se perd du côté de la forêt.

Que reste-t-il au descendant des prédateurs que la prédation écœure ? − Le même rêve, le même regard qui se perd du côté de la forêt. L’obligation vitale plus que morale de saluer l’Indien réel, même clochardisé, mais aussi de faire vivre en lui, l’Indien rêvé ou le rêve de l’Indien.

Rien ne réparera la souffrance de ces Algonquins enlevés à leurs parents et violés par les prêtres (les excuses proférées par le premier ministre canadien quelques années plus tard, en 2015, semblent bien tardives…). Rien ne réparera la souffrance de ces Wayanas, de ces Émerillons, de ces Palikours à qui on n’a pas même laissé la possibilité ou la force d’une nostalgie : juste la violence contre soi et ses proches, la consanguinité, la débilité, le regard buté, le mercure dans les cheveux et le sang, la corde et le plomb.

(Ayant regardé le documentaire de Richard Desjardins Un peuple oublié.)

 

18 décembre 2009

 

 

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Le train Montluçon-Riom entre en gare de Lapeyrouse. Coup de sifflet puis on repart à travers cette campagne grise battue par la pluie noire. Je suis seul avec l’enfant qui regarde les arbres nus, les moutons épars, l’herbe terne, les rares fermes. Parfois un train en sens inverse le fait sursauter.

On a laissé derrière nous mon grand-père − plus guère qu’un souffle pour murmurer un sans doute ultime « au revoir et merci » − et ma grand-mère (cette phrase recopiée six ans plus tard est sans doute à l’origine du rêve qui, cette nuit, m’a fait la retrouver sur une sorte de promontoire incliné, bétonné, vertigineux, où nous avons causé ensemble comme si de rien n’était, avec un plaisir que ne gâchaient même pas le vertige et l’amertume des dernières fois).

L’enfant ne tarde pas à s’emparer de ma cuisse pour s’en servir d’oreiller. Ses yeux se ferment doucement tandis que le paysage continue de défiler dans sa tête et à la fenêtre.

Le train est désert.

La campagne est déserte.

Non-lieu, hors-temps.

Au tunnel l’enfant se redresse très vite et s’écrie : « On est dans la nuit ? » Puis il se rendort.

On file avec soulagement retrouver le Villard de La Table et la Vallée des Huiles, notre havre, notre avenir, notre présent.

 

27 décembre 2009

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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