Le soir venu je repose le Bayan (ainsi que les oreilles des autres habitants de la maison) pour continuer la mise au propre des carnets du Villard: ces quelques notes répétitives, qui parlent de l’orage, de l’été, des petits riens d’une vie ordinaire.
Nathalie, cependant, casque sur les oreilles, regarde un film à la télévision. Je peux voir les images sans rien entendre ni comprendre de l’histoire en cours. Paupières mi-closes, une femme au beau visage triste joue du violon lors d’une réunion de famille avec une gravité qui fait se figer les sourires, baisser les yeux, émeut et met sans doute mal à l’aise les invités de la fête, comme moi-même je mets si souvent mal à l’aise, je le crains, mes propres invités, mes amis, les gens qui m’écoutent en classe ou ailleurs quand je parle ou je joue, peut-être ceux qui me lisent, qui fatalement ont connu, connaissent ou connaîtront les mêmes tristesses dont ils préféreraient pouvoir se détourner.
Ces bribes de juin 2010, ce n’est vraiment pas grand-chose – et c’est pourtant miraculeux d’y revenir parce que Clément avait à peine deux mois et que la famille, alors…
Je rassemble mes bribes pour contrer l’incomplétude, peut-être, ou juste pour attiser encore le feu coupant de la nostalgie.
« Que vais-je faire de cet abandon ? À qui en faire don ? »
À l’horizon de cette année il y avait les mêmes orages, les mêmes nuages en forme de mâchoire, les mêmes bourrasques dans les hautes herbes… et pourtant…
Le Villard de La Table, 24 juin 2015