Treize bribes détachées du silence de ce mois bref : 1. Février funèbre – 2. Retour vers la Jasse – 3. Matin morne – 4. Radio printemps – 5. Les nuages – 6. Le tempo des contrastes s’accélère – 7. Prière – 8. Je n’écris pas – 9. Un voyage – 10. Quelque chose à scruter – 11. Coïncidences – 12. La paix fin février. – 13. Le rayon vert.
Février funèbre
Temps gris, tendu et triste, triste, qui remet en mémoire les sensations d’un autre février d’il y a quatorze ans où est mort mon grand-père. Je me souviens de mon saisissement lorsque j’avais vu dans la lumière tamisée de la chambre froide son visage de cire grise : c’était mon premier mort, par chance assez tardif. Il faisait glacial dans l’église où nos voix se perdaient. À défaut d’être croyant j’étais, en ce temps-là, assez religieux, et j’avais tenu à m’impliquer dans le choix des textes proposés par le prêtre que j’avais lus à voix haute, dans la petite cuisine de la maisonnette de Montluçon qui était le cœur de ce monde révolu, à ma grand-mère morte trois ans plus tard, à ma mère partie quatre ans après, à Ludo qu’un AVC a depuis emporté. Clément était un bébé, Léo un petit garçon prometteur. Que les survivants me pardonnent, je pense aussi à eux, mais c’est avec tout ce peuple de fantômes que je me promène à présent dans la brume après avoir donné mes cours au collège-mausolée.
Février funèbre. « Toutes les lumières sont funéraires. » Ça tire sur la longe, dans le cœur et la tête, ça lance, ça balance et retombe. Bientôt l’odeur camphrée des thuyas comme un encens très frais apaise. Je sens que dans le bois, sans doute, ça ira mieux. Les chiens lapent l’eau boueuse des flaques. Depuis que l’arbre a été coupé en deux, le lierre privé de son support gît en travers du sentier, ballotté par le souffle du torrent comme une liane ou un tentacule coupé. L’eau file dans le canal bétonné, déborde du barrage, dévale et se fracasse dans la chute. Il n’a pas plu depuis longtemps, c’est l’eau de la fonte des neiges, de l’invisible et perpétuelle débâcle. Ici un vélo a dû choir, laissant sur place le plastique rouge d’un feu arrière…
En arrière toute, en arrière les fantômes ! En arrière, ou en avant, de toute façon on vous suit, on vous rejoint, et cette certitude n’en finit pas de stupéfier. Même sans glisser ni tomber, patience, on vous rejoint.
01/02/24