Vigie, août 2023

 

Première marche d’automne

 

 

Au premier jour d’août – mois du départ de Léo, des premières répétitions avec Fabrizio, de la mort de Kenneth White et de l’écriture de Dans ma mémoire indienne – l’automne est sur nous. Je repars marcher sur le sentier des crêtes entre le Grand et le Petit Cucheron avec Rimski. C’est ma première sortie avec la Twingo blanche qui me rappelle ma jeunesse en Guyane (je conduisais alors une Twingo blanche) et m’accompagnera je l’espère assez longtemps. Rimski d’abord hésite à sauter dans le coffre où je lui ai fait de la place en écartant les sièges (dans quelque temps cette voiture sera si bien associée à la promenade que cela deviendra un réflexe), puis nous filons dans la brume.

Les averses et la grisaille ont une fois encore totalement métamorphosé les lieux et fait pousser des champignons intéressants : je prends un moment pour photographier la jeunesse et la vieillesse de ce Phallus impudicus qui attire toutes les mouches du secteur et que je renifle négligemment.

Je ne suis pas venu seulement pour observer, même si je le fais, ni pour promener Rimski. Une bonne partie de l’escapade est consacrée à l’écriture d’un passage de Ma mémoire indienne sur lequel je butais et qui, avec la marche, me vient naturellement et sans effort. Je constate avec une pointe d’embarras qu’écrire assis à ma table comme je l’ai toujours fait m’est devenu plus difficile : corriger, lire et relire, déplacer des virgules, cela je peux le faire, mais écrire un texte nouveau me bloque et mon esprit se disperse. Cette pratique de l’écriture-diction associée à la marche, découverte un peu par hasard en 2013 avec L’éloignement, a fini par supplanter celle, silencieuse et statique, que je pensais pourtant si bien ancrée depuis tant d’années. Il n’empêche que le travail au bureau reste nécessaire pour fixer le cadre, la direction, et revenir sur les détails. Les deux prochains livres s’écriront de cette sorte.

Quand je marche c’est non seulement ma tête mais tout l’espace alentour qui devient un carnet. Je punaise mes bribes sur la cime des arbres, gribouille des morceaux de phrases que je reprends parfois dix fois, que je déplace à loisir sur les cailloux du chemin. À tout moment des sensations s’invitent du dehors dans mon texte, qui ne peut pas être tout à fait sans rapport avec le rythme de la marche et la nature de la pente : les phrases sont courtes en montée, hésitantes en descente, alors que sur terrain plat les propositions s’enchaînent et se ramifient sans obstacles. Il y a aussi de beaux moments de silence qui sont comme un blanc sur la page, un changement de paragraphe ou de chapitre, et d’autres où c’est tantôt le texte en cours, tantôt le paysage qui s’efface.

L’un des ultimes arguments qui m’ont poussé finalement à cette sage folie que fut l’adoption de Rimski, était qu’un chien, pressentais-je, me permettrait d’écrire, parce que l’obligation de sortir tous les jours me semblait profitable. Je ne pensais pas que mon écriture allait devenir dépendante de Rimski, à tel point que je suis déjà en train de chercher des arguments pour convaincre Nathalie de ne pas le prendre en vacances avec elle (la canicule sera finalement le meilleur des arguments) — je ne peux quand même pas avouer que sans lui, je ne peux plus écrire…

01/08/23

 

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