Le sentier du soleil
J’avance en plein soleil à travers la poudreuse, suivant les traces laissées par les chevreuils et les cerfs. Chuintement des cristaux qui voltigent, bruits d’eau de la neige mouillée, puis froissement des vieilles feuilles quand on parvient à la lisière. Une petite avalanche parmi les cimes ensoleillées des arbres célèbre la débâcle, bientôt confirmée par le vacarme du Gelon grossi par mille ruisselets sonores.
Me voici en ce point du sentier que j’ai photographié l’autre jour parce que j’aimais le signe contradictoire formé par l’affaissement de deux arbres en croix au-dessus du chemin et la barrière d’un grand tronc coupé à la tronçonneuse l’hiver dernier. C’est une image riche en symboles, m’a-t-on dit. Je n’y avais pas tellement réfléchi, mais c’est assez vrai. Le chemin et la course du chien suggèrent une progression, qu’interdisent en revanche le tronc et la croix ; mais l’intervention humaine a ménagé dans le tronc un passage que la croix ne gêne nullement. Alors, est-ce qu’on peut faire dire à cette image qu’on se joue des obstacles, qu’il y a toujours moyen de passer, à partir du moment où l’on ne s’égare pas dans de vains rêves d’envols mais qu’on se contente de marcher à hauteur d’homme et de chien ? Ou bien est-ce qu’on lui fait dire que toute idée d’aventure est toujours soumise à des limites et qu’on ferait mieux de rebrousser chemin et de rentrer à la maison ? Je décide de complexifier encore un peu ce message ambigu en prenant une autre photo de plus loin, qui permet de montrer un autre tronc en travers du chemin, celui-là tombé trop récemment pour qu’on ait pu le tronçonner, pendant que Rimski franchit le deuxième. Comprenne qui peut, et surtout que chacun comprenne ce qu’il veut. Moi, je dis que pour avancer sur le sentier du soleil il faut de l’aide, de l’aide animale, comme un grand songe blanc qui vous tracte, qui vous emporte au risque de vous faire tomber, qui saute pour et avec vous les obstacles et vous emmène au-delà de vous-même.
Je continue sur le sentier du soleil. Me vient l’envie de placer ce mois de février sous ce signe : naturellement, je ne peux pas savoir à l’avance ce qui se passera, quelle chute, quelles catastrophes possibles, mais cela sonne bien. Campé dans la lumière, le poil étincelant, la tête auréolée de neige, Rimski acquiesce.
01/02/23