Route, juillet 2013

 

 

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Redescente en plein soleil. Ciel blanc. Ici ou là encore un champ aux herbes hautes. Fatigué par les lectures de la nuit, ou le silence, ou un repas trop copieux, je me suis longuement endormi. La phrase qui m’a réveillé disait quelque chose comme : s’il n’y avait pas les enfants, tu sais bien de toute façon que je disparaîtrai, je trouverais bien un moyen ou un autre pour le faire. Cette phrase m’a mis mal à l’aise et je me suis réveillé. Je me suis levé, ou en tout cas j’ai cru le faire, pour saisir un livre ou je ne sais quoi sur la table, mais j’ai constaté que c’était impossible. En fait, mon corps était resté inerte et seul mon esprit m’avait donné l’impression d’être levé. J’ai fini par attraper le livre sur lequel je m’étais endormi et j’ai poursuivi un moment ma lecture. 

Maintenant je redescends une fois de plus la route de la vallée, en plein soleil, en pleine chaleur, en pleine torpeur estivale. Torpeur sans doute pour les pour les oisifs comme moi et les bêtes nocturnes, car un peu partout les hommes sont au travail : travaux des champs, travaux d’évacuation, travaux dans les maisons et tout autour des maisons. Une très grosse voiture me suit, me colle tous phares allumés. Quelques jeunes scouts remontent en sens inverse la route, visiblement assez affectés par la chaleur. Une voiture noire remonte aussi en sens inverse, avec les feux de détresse allumés, je ne sais pas pourquoi. 

À mesure que je descends il fait de plus en plus chaud. Là où passait cet hiver le grand troupeau de cerfs, c’est à présent un champ de blé assez blond. Je marque ici en silence pour songer à mon ancienne passion pour les champs de blé. 

Au village de Presle, voici le gros des troupes scoutes, qui portent de lourds équipements et semblent décidément souffrir de la chaleur. Feu rouge. Éboulement. Ici, juste à la sortie du village, au-dessus d’un ravin, là où elle était bien étroite, la route s’est effondrée. Je pense à la frayeur de la première voiture qui est passée par-là après l’effondrement. Les routes aussi s’effondrent ! J’ai dans la bouche un peu de sang que je goûte de temps en temps. Une blessure entre deux dents. Je suis vivant. Je ne m’effondre pas, je n’ai pas du toute envie de m’effondrer ni de mourir. Simplement je suis la route, virage à droite, ligne droite, belle calligraphie des ombres d’arbres, virage à gauche, ligne droite, herbes penchées, vieille demeure, lys orangés, virage dangereux en épingle à gauche, je ralentis, virage à droite, belles meules sèches, foins coupés, plein été, ligne droite, vieilles granges, virage à gauche, falaise grise, gorges sombres, virage à droite, l’usine, les papeteries de la Rochette, stop. 

Assis dans l’herbe, les ouvriers semblent des enfants en vacances. Voici l’école et le collège, déserts. Une route barrée par les travaux, le cimetière interdit aux chiens. Attention, vol de fleurs signalées… 

À la remontée la masse immense de Belledonne me fait face, surmontée de l’autre masse des nuages. Je reprends tous les virages et le même paysage en sens inverse. Bien entendu, cela n’a plus rien à voir. Le feu rouge m’offre un autre point de vue sur l’effondrement de la route. Au premier plan un grand trou ; au second plan le bois vert, impeccablement rangé, aligné, protégé par un toit en tôle, des gens qui habitent ici et qui semblent particulièrement soigneux. Ce jouet d’enfant que j’ai évité est toujours là au milieu de la route. La cohorte des scouts s’est mise en route qui remonte la vallée cette fois dans le même sens que moi. À cœur vaillant etc.

 

 

12 juillet 2013

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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