Vigie, juin 2023

 

D’orage et de résine

 

 

Courant comme tout un chacun de tâche en tâche avec les pieds pris dans les rets d’une tracasserie domestique mineure mais qui, sur le moment, m’accapare, je m’agite absurdement pendant que mon grand chien nordique, censé ne pas pouvoir se passer de longues promenades sportives, dort sur le dos, étendu les quatre pattes en l’air sur le carrelage de la cave. Quand je m’approche, il s’étire imperceptiblement, pressentant la caresse. Il émane de tout son être un sentiment de béatitude absolue qui me fait m’interroger sur le sens de la vie. À le regarder, il ne fait aucun doute que seul compte le confort, la sécurité, les caresses et la sieste. Lui qui dispose de tout son temps pour faire ce que bon lui semble, préfère dormir comme un chat domestique ou un bébé, agité par nulle conscience du temps perdu, et même en vérité agité par rien puisque même l’araignée qui est en train de courir sur son museau ne provoque chez lui aucune réaction. Pris de pitié devant une telle félicité canine, je repousse l’heure de la balade et retourne à mes tracas.

Lorsqu’une heure plus tard je redescends, il sort de son sommeil et, sitôt que je l’appelle, s’enfuit, fidèle à la réputation de sa race puisque les Samoyèdes sont désobéissants et facétieux. Comme je ne suis pas d’humeur à jouer je tourne les talons et le plante là, « bien fait, tu n’avais qu’à obéir ». Vingt minutes plus tard, la leçon a été comprise et nous partons à l’instant précis où l’orage éclate.

Bénis soient les détours, les retards, les tergiversations, les chiens désobéissants et même les migraines, car il est évident que l’averse décuple le plaisir de l’escapade ! Il faut le voir bondir sous la pluie battante, ce gros chien qui tout à l’heure semblait une descente de lit, et il faut voir son maître aussi qui va de ci, de là en sautant dans les flaques, ruisselant et ravi, ayant oublié tous les tracas. Cet espace resserré par la poussée des feuilles, la rumeur de l’averse semble l’agrandir à nouveau, faisant résonner la forêt de son fracas et ma mémoire de sensations tropicales. En passant je croque dans les jeunes pousses d’un épicéa ; le goût de la résine se mêle à celui de l’orage.

02/06/23

 

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