Vigie, février 2022

 

 

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En ce mois de février je m’efforçais comme toujours de faire mon miel de ce qui venait (comme les abeilles au début du printemps font le leur de l’ingrate mais nécessaire floraison des noisetiers), qu’il s’agisse de la fatigue du virus, des sorties imposées, des dictats du temps qui passe, des aléas du temps qu’il fait.

De ce mois-ci je pensais qu’il me faudrait surtout me souvenir que je n’avais pas accueilli la petite chatte noire, pelée, squelettique, affectueuse, venue mendier sur ma terrasse, et dont l’ombre me restait en tête comme un remords, incarnation plaintive de tout ce que je me refusais à voir. C’était aux premiers jours de février. J’avais d’abord refusé de lui venir en aide, sachant bien que l’adoption d’un nouveau chat pouvait déstabiliser l’équilibre de ma ménagerie familiale (il y avait, de chaque côté de la vitre du salon, ma petite Siamoise claire qui dormait sur le canapé, et son double sombre et lamentable qui geignait pour rentrer…).

J’avais fini par lui donner à manger et j’avais pu voir à quel point sa faim n’était pas feinte. Je l’avais caressée, vermifugée, traitée contre les puces, prêt à céder… mais c’est finalement à la S.P.A. de Chambéry que je l’avais amenée en me disant, pour me donner bonne conscience, qu’elle serait soignée, protégée et sans doute assez vite adoptée car elle était jeune et sociable.

Puis la guerre a éclaté. J’ai regardé en boucle les images de ces pauvres gens fuyant, sur les routes, avec leurs chats, leurs chiens, leurs enfants. J’ai vu ce bureau si peu différent du mien détruit par un obus, que j’ai revu ensuite dans mes cauchemars, et même éveillé, traversant le salon de ma propre maison.

L’immédiateté du journal ne permet pas le recul qui rassurerait (ou terroriserait bien davantage) mais, au moment où j’écris ces lignes, l’indignation laisse place à la peur car le dictateur vient de « mettre en alerte » les « forces de dissuasion nucléaire » et formule des menaces explicites. Sur mon bayan je joue « Matin d’hiver » de Solotarev, puis je serre contre moi mon beau chien russe – car ils n’y sont pour rien, mon accordéon, Solotarev, mon chien et la plupart des Russes, dans cette dinguerie !

 

27/02

 

 

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