Notes de ma Maison de l’Alpe
Le monde est ainsi fait ; il est difficile d’y vivre, et chacun sent la précarité de sa propre vie, de son habitation. De plus, selon le lieu que l’on habite, ou la condition dans laquelle on se trouve, on se bute à d’innombrables causes de troubles. (…)
Où faudrait-il s’installer, que faudrait-il faire, pour être un peu tranquille, goûter ne serait-ce qu’un instant le contentement du cœur ?
Kamo no Chômei, Notes de ma cabane de moine
Dans un Journal on avance en myope, et si l’on pressent bien la ou les catastrophes que, par peur ou par lucidité, on ne cesse d’imaginer, on ne peut mesurer leur ampleur lorsqu’elles surviennent pour de bon – on ne sait pas de quoi le lendemain sera fait, ni même s’il y aura un lendemain…
Dérèglement climatique, tensions politiques, crise éthique et migratoire, dérives populistes, l’époque est plus que jamais anxiogène. Toutes les époques l’ont plus ou moins été, mais pas à cette échelle, pas toujours au point que l’ensemble de l’organisation sociale et économique soit remise en question, pas au point que la possibilité même pour l’homme de vivre sur la Terre semble engagée. Ce n’est pas de tout temps non plus qu’on a vu des milliers de misérables jetés aux portes de l’Europe contre des barbelés, et un virus soudain paralyser la vie de pays entiers : de tels cauchemars ne surviennent pas si souvent.
Quoi que.
« Depuis que je peux juger des choses de ce monde, plus de quarante printemps et de quarante automnes ont déjà passé, et dans ce laps de temps j’ai été témoin de bien des calamités extraordinaires. (…) C’était peut-être vers l’ère de Yôwa, c’est tellement ancien que mon souvenir manque de précision ; pendant deux années entières, le pays fut plongé dans la famine, en proie à des souffrances terribles. Tantôt, au printemps et en été, la sécheresse, tantôt, en automne et en hiver, des typhons et des inondations ; diverses catastrophes se succédant, aucune céréale n’arrivait à maturité… »
Les Notes de ma cabane de moine (1212) de notre vieil ami Kamo no Chômei commencent par une terrible litanie d’atrocités qui viennent finalement justifier le choix d’une vie retirée. Il faut se dire que notre situation, en comparaison, reste pour l’heure enviable.
Pour l’heure.
Ici, dans le retrait confortable de ma maison, de ma Vallée, cet ermitage qui semble n’avoir été conçu que pour se prémunir des tumultes du monde.
Et demain ?
Mars 2020, le printemps et la peur…