Vigie, octobre 2014

 

 

 

MUSIQUE ET L’ÉLOIGNEMENT

  

 

Le soleil d’automne fait flamboyer le feuillage rouge du merisier d’en face, et c’est encore une de ces journées fastueuses d’un automne qui se prolonge. Je ne guette cependant pas les signes de la fin, de l’hiver (il fait maintenant bien frais et les fleurs du forsythia, qui avaient recommencé de façon stupéfiante à pousser, sont tombées), mais le camion qui doit m’apporter L’éloignement. 

Le moment venu, je m’enferme avec le livre. Ce n’est pas tous les jours qu’arrive un livre qu’on a attendu quatorze ans… Je le palpe, le feuillette avec soulagement. Il est tel que je le voulais. On est loin de la quasi dépression qui avait suivi la publication des deux premiers : trop de projets pour cela, trop d’urgence, et les circonstances ne sont plus les mêmes.

Assis en plein soleil sur la terrasse de l’ouest je joue longuement sur le Crucianelli. Musique, le petit chat noir et blanc recueilli au sortir d’un cours d’accordéon pendant lequel il m’avait semblé, pour la première fois, être entré en musique (et ce fut ce soir-là tout un horizon qui s’ouvrait, avec la même fièvre, la même intensité, les mêmes excès que lors de ma découverte du bouddhisme, de la poésie japonaise, de l’ornithologie, etc. – preuve qu’on ne se refait guère…), Musique le bien-nommé semble sensible aux sons aigus de l’accordéon et vient se blottir sur mon épaule, puis sur le soufflet de l’instrument. 

(Musique est un chaton noir et blanc ; c’étaient aussi les couleurs de la lapine recueillie l’an passé, et qu’on a retrouvée morte ce mois-ci, sans doute empoisonnée…)

Lumière.

Musique.

Soleil déclinant.

Puis la nuit revient.

Le portrait cerné de noir sur le bureau bariolé.

La plume.

Les dernières pages du gros carnet bleu.

 

Le labeur ordinaire.

Les neuf livres à écrire…

Je repense à la conversation avec Robert sous le hangar, cet après-midi – Robert qui m’a raconté à nouveau le terrible incendie qui a fait basculer leur vie, en 1988… « Profite ! Profite tant que tu peux, pendant que tu peux ! »

Travaille. Lis. Veille. Guette. Sois vigilant. Vis, et flamboie encore, jeune automne, vieil arbre !

 

 30 octobre 2014

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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