Vigie, juin 2009

 

 

 

AINSI !…

 

 

Deux jours d’averses, puis le soleil, la montagne lavée, les lignes nettes et les derniers nuages qui filent du côté de Prodin. Hier on a refait du feu. L’enfant se réjouit de ce temps d’escargot.

Je reste silencieux. Je ne cherche rien. L’écriture aussi file au fond de paysage, bien discrète, supplantée par le silence et cet « entraînement de l’esprit » qui m’accapare : assis sur le zabuton je me laisse aller, une demi-heure durant, à suivre le va-et-vient du souffle ; quand une pensée survient, je dis simplement : « pensée », et j’essaie sans trop essayer non plus de ne pas la suivre, de ne pas alimenter d’autres pensées, en revenant au souffle. La torpeur me gagne et je dis : « attention ! » Le gong me rappelle à l’ici. 

Souvent tout est confus ; parfois un pan de clarté laisse entrevoir un paysage intérieur plus précis, comme ce paysage d’après la pluie. Que je m’en réjouisse seulement et tout se brouille aussitôt. L’instabilité n’est pas seulement météorologique. Ce n’est pas grave. C’est ainsi.

Déjà je savoure une certaine nonchalance retrouvée, le goût d’une distance sans froideur – disons, d’un espacement −, la joie d’un chemin sans colère (à défaut d’être sans obstacle). Puis je fonds en larmes parce que j’ai par mégarde écrasé un escargot.

Des larmes ?

Sur les hauteurs du village il y a une maison que plus personne n’habite (c’est Nathalie qui me l’a dit). Un homme et une femme y vivaient avec leur fils. L’enfant est mort, le couple est parti. Je n’écris pas cela pour à tout prix m’inquiéter mais parce que c’est vrai, et à peine moins banal que l’histoire de cette jeune mésange ramenée par la chatte il y a quelques jours, que j’avais déposée sur le toit dans le maigre espoir que ses parents parviennent à la nourrir encore, et qui est morte. 

Les choses sont ainsi. Ne pas le voir renforce encore la peur, la souffrance, et fait des larmes vraiment amères.

 

*

 

« Marpa fut très remué lorsque son fils fut tué, et l’un de ses disciples dit :

— Vous nous disiez toujours que tout est illusion. Qu’en est-il de la mort de votre fils, n’est-ce pas une illusion ?

— Certes. Mais la mort de mon fils est une super-illusion… »

 

*

 

Pour l’heure l’enfant se porte à merveille (je l’entends qui se réveille de sa sieste). Mais sans parler de disparition tragique, il s’efface pourtant bel et bien à mesure que  s’efface le souvenir du bébé que je portais dans mes bras à la maternité de Cayenne, voici bientôt trois ans.

C’est ainsi. 

Dong !

 

8 juin 2009

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