Route, avril 2014

 

 

D’UN VIEUX SAC DE PEUR

 

 

Le temps tourne. Grand vent, douceur, ciel gris annonciateur de pluie. Rêvé cette nuit, sans doute à cause du vent, que la maison fuyait. Nous étions entourés d’eau, comme en Camargue. Nous ne pouvions plus quitter la maison et je m’apercevais avec stupeur que des gouttes d’eau commençaient à ruisseler un peu partout du plafond. C’était d’abord un tout petit bruit irrégulier, discret, puis je voyais de longues fissures s’ouvrir sur le mur et l’eau suinter le long des poutres du plafond. Certains murs déjà commençaient à s’effondrer, et les lourds  plaque de placo-plâtre que j’avais fixées au plafond se défaisaient et se cassaient. Il y avait un grand trou au milieu du plafond. Ce qui était troublant, c’est que je n’assistais pas à une scène continue, dans laquelle l’eau se serait infiltrée de plus en plus fort, un peu comme dans de Le miroir Tarkovski (toutes ces scènes de pluie à l’intérieur de la maison). C’était plutôt comme si j’avais eu la possibilité d’assister, image par image, mais avec de longues ellipses temporelles, à la destruction de la maison (qui surviendra un jour, tôt ou tard, bien après ma mort je l’espère). La ruine de la maison ne s’accompagnait d’aucune espèce de délivrance, mais seulement d’une grande stupeur et même d’un certain effroi.

 

Maintenant je roule parmi les fleurs, magnolias et pruniers, forsythias, cerisiers. Je cueille encore ces images pour maintenant, pour plus tard. Je passe devant des maisons dont certaines sont en ruine. Je pense à la stupéfaction de l’enfant le jour où il a compris que ces ruines, assez nombreuses le long des ruisseaux et dans les forêts alentours, avaient été des maisons comme la sienne, des moulins, des fabriques, des fermes habitées. C’est à peu près à cette époque qu’il avait trouvé un jour en rentrant sa chambre complètement inondée, parce que l’ancien toit (changé depuis) avaient fui (il fuit encore parfois). Il avait beaucoup pleuré, tout en essayant de ramasser ses jouets trempés. Pendant un certain temps il avait demandé : « Quand est-ce que notre maison deviendra elle aussi une ruine ? » Et puis, je suppose qu’il n’y a plus pensé, que cette peur-là est revenue rejoindre toutes les autres qu’on enferme dans un petit sac muet et qu’on cache au plus profond de son cœur par facilité, par nécessité.

 

Il suffit parfois d’un simple coup de vent dans la nuit pour que le rêve revienne puiser dans ce sac-là.

                                                       

jeudi 3 avril 2014

   

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