Route, avril 2014

 

 DES PORTES ENTROUVERTES

 

 

Dans l’air légèrement voilé flottent encore quelques nuages aussi inconsistants que pétales de prunier, et que la mare gagnée par les roseaux ne reflète pas. Au hasard de la route voici quelques bouquets de flamboyantes jonquilles, des forsythias en fleurs, le voile vert frais des jeunes feuillages, un enclos avec des poules qui grattent la terre et qui courent (évidemment inconscientes du sort réservé à l’immense majorité de leurs semblables dans les hangars de l’industrie).

 

Toutes ces fleurs plantées autour des maisons des hommes disent quand même quelque chose d’un besoin de beauté, de couleurs, de lumière, d’harmonie. Ce magnolia, ce cerisier en fleurs, tous deux d’une beauté étourdissante, trop voyante d’ailleurs, ont été plantés par les hommes. On peut sans doute y voir une façon d’imposer partout sa marque, de remplacer par une beauté sous contrôle la beauté sauvage. On peut aussi y voir l’expression d’un regret, une façon de compenser ce qu’on a perdu, d’essayer de garder l’illusion d’un monde bienveillant lors même qu’on n’a de cesse de le détruire — de même cette voiture que je suis, cette voiture qui roule devant moi, au moins aussi polluante que la mienne, a été recouverte par son conducteur la couverte d’autocollants représentant des fleurs…

 

Puis voici le bosquet de mélèzes, de plus en plus vert, et les bouleaux qui se reflètent dans l’eau sombre.

Un rougegorge posé sur le mur me regarde passer.

L’ancien l’hôtel, presque en ruine, d’Arvillard.

Le bar fermé,

 

Je tente encore d’écrire quelque chose avec cela, autour de cela. C’est peut-être aussi encore et malgré tout manière de régression, manière de revenir aux rédactions de l’enfance, à ce premier texte qui décrivait, comme dans un rêve, le chemin du collège… Je constate avec embarras que je vis depuis l’enfance dans la nostalgie de l’écriture. Je me souviens de ce sentiment tout de même très naïf que j’avais, à treize ou quatorze ans, de ne pas pouvoir retrouver ce qui m’avait été donné dans l’écriture des premiers textes ! « Ah, me disais-je, en relisant tel ou tel poème bien maladroit pourtant, ce n’était pas bon mais au moins j’avais pu écrire cela. Maintenant je n’écris pas ». Il n’est pas étonnant que La recherche du temps perdu m’ait tant parlé… Le regret de ne pas écrire, de ne pas pouvoir écrire, demeure une constante même de mon écriture, ou de ces ébauches, de ces bribes de ces balbutiements. Proust, cependant, à la fin de sa vie, a pu faire ce qu’il avait à faire, sauver ce qui devait l’être. Je vois aujourd’hui assez clairement, sinistrement, qu’il n’en sera probablement pas de même pour moi, que les portes que j’ai eu l’illusion d’entrouvrir ces dernières années, n’ouvraient que sur d’autres murs, et que c’est encore plus cruel.

 

mercredi 2 avril 2014

 

 

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