Route, avril 2014

 

 

 RENAÎTRE AU PRINTEMPS

(des illusions, 2)

 

 

Les images, les comparaisons, les métaphores trop souvent occultent ce qu’elles sont censées dévoiler. Elles gênent le regard parce qu’elles substituent à la chose vue un effet de langage en général trop voyant et qui se rigidifie facilement en cliché. Pourtant, depuis que m’est venue en tête cette image si banale, ce cliché qui fait correspondre au printemps certaine beauté particulièrement rare et fugace de la prime adolescence, parfois éclatante mais aussi vite évaporée que rosée en juillet, il me semble que j’ai moins de peine à établir un contact avec le printemps, à me laisser toucher par lui.

Printemps précoce, printemps fugace.

À partir de Presle, d’Arvillard, et plus encore dans la combe d’Allevard, un fouillis de feuilles déjà estivales remplace la floraison des cerisiers, des poiriers, des magnolias. Le vert s’impose. Le vert regagne du terrain sur le marron terne laissé par le dernier automne, sur les champs jaunes de l’hiver et sur le jaune flamboyant des forsythias. Il y a bien sûr le vert bronze des saules marsault, le vert très tendre, très clair des jeunes hêtres, le vert plus terne des bouleaux, le vert flou des tilleuls qui fait tourner la tête…

Dans la cour de l’école les moignons des platanes se sont couverts aussi de vert, de ce même vert qui a avalé l’allée blanche des cerisiers. D’autres couleurs apparaissent avec la floraison des lilas, les iris tricolores, le jaune des pissenlits, les premiers pétales rose et blanc des pommiers, le roux vif des prunus que l’on retrouve aussi sur la vieille croix rouillée du carrefour (qui elle non plus ne semble pas tout à fait insensible au printemps). Ces bouquets de pissenlits fanés, par contre, disent déjà l’été, et avec eux l’incroyable douceur de ce jour de beau temps. 

 

À Presle les cognassiers sont en fleurs, des fleurs discrètes et banales en lesquelles on a peine à imaginer la magnificence des fruits à venir.

 

On scrute tout cela avec une grande avidité. On regarde à gauche, regarde à droite, regarde le cheval à la robe luisante qui broute dans le pré vert (et l’on ressent quelque chose de la joie qu’on lui suppose), on regarde les grands champs tout rafraîchis de cette peinture nouvelle. On regarde la buse s’envoler, le blanc et vert mêlé du très grand cerisier, et c’est comme un nouveau départ. La sensation évidemment un peu trompeuse d’un accueil, voire d’une renaissance dont on ne serait pas exclu.

 

(Parler de renaissance, s’extasier sur le printemps quand on sait ce qu’il en est de notre réalité, est peut-être indécent. De telles hésitations, quand je les lisais autrefois chez Philippe Jaccottet, m’agaçaient. J’étais naïf, impatient, et encore plus protégé que je ne le suis aujourd’hui.)

 

lundi 14 avril 2014

 

 

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