Vigie, avril 2024

La quête continue (1) – Blanc et vert (2) – Travaux de printemps sous le ciel blanc d’été (3) – Cueillette d’avril (4) – Variations de blancs (5) – Tout s’équilibre (6) – Jours d’été (7) – Filant vers le futur (8) – 20 avril 2024 (9) – À la recherche du poème (10)

 

La quête continue

 

 

Tout s’intensifie, le blanc sur les crêtes et les pruniers en fleurs, le vert des feuillages et des champs ; puis le vent se lève et l’orage s’abat sur la vallée. Toute la nuit une pluie violente roule sur le toit, on rêve de naufrage. Au matin résonne une telle clameur qu’on s’empresse de repartir sur le chemin lumineux et trempé, avec en tête les premiers vers du Conte du Graal, « et cil oisel an lor latin / dolcemant chantent au matin »… On regarde les fleurs pâles des coucous qui luisent dans la pénombre du pré avec la même intensité et la même hébétude presque que Perceval contemplant les gouttes de sang dans la neige…

Le Graal, je l’ai raté de peu hier. J’étais tout occupé à cueillir les premières morilles en compagnie de Rimski quand Nathalie, qui promenait Nouchka sur un autre chemin non loin, a rencontré la salamandre, celle que j’espère depuis des années, qui traversait nonchalamment la route ; ainsi ma propre quête (qui n’est qu’une attente passive) se poursuit-elle.

Le livre aussi se poursuit, depuis qu’ayant enfin compris la vanité de cet artifice qui m’avait fait créer un double semi-fictif finalement dispensable, j’ai renoncé à la troisième personne pour revenir au « je » habituel. Si ce n’était que pour être publié ou débarrassé de ce poids d’un livre mort-né (j’en ai plus d’un dans mes tiroirs), je ne le ferais pas ; mais je constate que ce travail d’énième réécriture me plait, que ce matériau est encore vivant et susceptible même de révéler, à l’image de ces tours que je fais tous les jours avec les chiens, des surprises, peut-être des trésors, façon morilles et salamandre. Je sais que certaines trouvailles dont j’étais content resteront inédites, mais ce n’est pas grave. Il y a en cuisine des ingrédients que j’adore, comme le gingembre ou le poivre, mais que j’accepte de délaisser lorsque le plat ne s’y prête pas. Sculpter aussi suppose de choisir, et même improviser en jazz : on ne peut pas se contenter de badiner en liberté comme un chien échappé…

La clameur du torrent me ramène à la promenade. Dans les ornières qui débordent d’eau sombre, frétillent des dizaines de petits têtards noirs, dont on espère qu’ils auront assez de temps pour aller au bout de leur métamorphose. Les oiseaux s’égosillent dans les buissons et l’ivresse du soleil retrouvé. Un nouvel arbre couvert de lierre est tombé, sous lequel on se faufile à quatre pattes — on en ressort trempé et parfumé. Rimski choisit le chemin le plus court et l’on se fie à son instinct : qui sait, la salamandre peut-être s’y promène ?

Il faut de nouveaux franchir à quatre pattes le portique du petit sapin effondré, qui n’est un obstacle que pour le bipède. On rejoint la lisière en ahanant un peu. Quand on en sort enfin du bois on trouve, comment y croire, c’est incroyable, c’est un miracle, tellement inattendu, on trouve la lumière

02/04/24

 

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