Au fond d’Aussois (1998-2015)

 

 

 

LA PREMIÈRE FOIS

 

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La première fois que je suis monté à Aussois c’était, je m’en souviens encore assez bien, pour préparer une semaine de pratique du haïku organisée en septembre 1998 avec des amis de la « géopoétique ». Je n’en pouvais plus de la ville. Je rêvais obsessionnellement de montagne, de forêt, de voyage, et la route assez longue qui nous avait menés jusqu’à la maison que nous pensions louer avait été une sorte d’avant-goût de la longue fuite à venir…

Arrivés à la nuit tombante nous avions visité les lieux, discuté avec le propriétaire M. Chardonnet qui nous avait permis de rester à dormir. Je me souviens d’une nuit de pleine lune très froide et très belle, du lit de camp, de la ligne pure des montagnes à minuit…

Je voudrais bien revivre cela, ne fût-ce qu’en rêve. J’en cherche des traces dans les carnets, et n’en trouve pas. Seulement des phrases, parfois peu compréhensibles et qui ne me parlent plus (des phrases comme : « La liberté réellement gagnée est proportionnelle à la part de violence assumée, de souffrance acceptée et même, assimilée, comme mode de fonctionnement éminent de la vie », sic…). Je retrouve des repères (« juin, le chaton devient chat »), des résumés (« concours, travail, enfermement »), entre beaucoup d’ellipses ; puis enfin ces quelques lignes datées du 7 juillet 1998.

 

*

 

La voiture file sur l’autoroute Lyon-Chambéry : ciel bleu pâle, nuages blancs brouillés à l’horizon, vent dans les arbres. Flot de voitures et de bitume, puis champs de maïs, de tournesol et de blé, large voie ouverte vers l’est comme un fleuve. Nuages, nuages, et cette fraîcheur parfumée de feuilles à l’ombre des premiers contreforts de l’Épine, juste avant le tunnel de Dullin. On regarde les vaches meugler en plein ciel, le vol d’un milan au-dessus de la combe chambérienne et, tout au bout du paysage, calcaire blanc sur fond de nuages blancs, la silhouette du Nivolet.

« Chambéry, suivre Albertville / Grenoble par RN jusqu’à Montmélian, N6, D906, Vallée de l’Arc… »

Ravagée par l’industrie, cette vallée encaissée de la Maurienne semble bien sinistre ; nous quittons avec soulagement l’axe Chambéry-Turin et bifurquons vers Aussois, en Vanoise.

On oublie aussitôt la ville et la vallée défigurée. Le paysage s’ouvre sur des alpages à la végétation curieusement méditerranéenne (tous ces pins cembro…). M. Chardonnet, un Mauriennais à la peau tannée et à l’accent savoyard bien marqué nous accueille et nous conduit au chalet, au-dessus du village, et l’on se dit qu’on n’aura pas roulé en vain parce que le lieu est superbe.

Vaste et rustique baraque, parfaite pour accueillir la vingtaine de personnes de notre rencontre-haïku à venir. Vue panoramique sur les montagnes de la Maurienne. Bientôt nous voici en route sur un sentier d’alpage (ces notes laconiques ne permettent pas d’imaginer l’intensité du bonheur que cela pouvait être de fouler à nouveau un sentier de montagne après plusieurs mois d’un travail exclusivement intellectuel, mais imagine, imagine…). La route non carrossable traverse une forêt aux troncs ouverts dont l’odeur de résine est un bienfait.

Nuages blancs sur les crêtes déjà sombres. Nous marchons dans l’ombre, nous retournant souvent pour admirer les jeux de lumière du couchant sur le versant encore ensoleillé.

Espacement, sensation d’intense bien-être, d’agrandissement de l’être et de tout.

Premiers parfums de rhododendron et de thym, vent froid.

La tête nous tourne au détour du premier barrage.

La linaigrette brille et se balance dans la nuit puis soudain, émerge la lune, la lune toute ronde et blanche qui nous éclaire de son fanal !

Nous sommes montés haut, sans nous essouffler. Nous regagnons lentement le chalet dans la nuit, heureux d’avoir ainsi renoué le fil des escapades. Souper à la chandelle vacillante, riz froid et fromage (un régal).

Là-dehors le vent sifflait…

 

Aussois, 7 juillet 1998

 

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