Route, octobre 2013

 

 

LES GRANDS DÉPARTS

 

 

Il fait encore bien nuit. Sur la route trempée des débris de feuilles semblables à des batraciens écrasés. Vitres embuées, brouillard et nuit. Le champ de vision est restreint, c’est le moins qu’on puisse dire. La lueur des quelques réverbères plantés dans les villages n’y change rien. On peut toujours essayer de forcer sur l’éclairage, mettre pleins phares, écarquiller les yeux de manière très volontaire : ça ne change pas grand-chose et ça n’accélère pas la venue du soleil. Si d’un seul coup on y voit un peu mieux c’est juste parce qu’à cet endroit de la route le brouillard s’est dissipé tout seul. On le retrouvera vingt mètres plus loin… 

Il y a, plantée en plein milieu de ce jardin, une cheminée qui fume. C’est un spectacle vraiment étrange que cette cheminée plantée au milieu du jardin, même pas en hauteur, et qui fume. 

Très lentement s’allume le ciel gris. Souvenirs d’autres ciels comparables en Bretagne. Toute cette grisaille. Les hommes en orange patrouillent le long des lisières. Je suppose qu’ils sont eux aussi sensibles à cette atmosphère de l’automne, à ce gris qui s’allume. Ces hommes- là doivent tout de même être bien accrochés à la vie, malgré leur goût pour la tuerie animale, pour traverser les automnes fusil à la main sans presque jamais céder à la tentation de  retourner l’arme sur eux… 

Voici un renard qui court sur la route devant la voiture. D’abord il trottinait puis il s’est retourné en m’entendant arriver et s’est mis à courir avant de plonger à couvert. Il devait être encore assez jeune. Je crois même que son pelage était encore un peu gris, mais c’est peut-être à cause de l’heure et du temps. Je ne peux pas m’empêcher de trouver quelque chose de triste à la course solitaire de ce renard.

Au carrefour d’Arvillard, je m’arrête juste à côté de ce jeune garçon que je vois promener tous les matins son berger allemand depuis des lustres. Nous nous dévisageons, il attend que je sois passé pour traverser. Je lui trouve un air de renard. Il y a quelque chose du renard dans la manière qu’il a de trottiner chaque matin avec son chien le long de la route. Je me demande si c’est pour lui une corvée, une obligation ou un plaisir. Cela me semble une belle manière de commencer la journée : cette petite marche solitaire en compagnie d’un chien.

L’eau ruisselle et fait reluire la lumière des lampadaires le long du cimetière. À présent le jour est levé. Un beau jour gris. De beaux nuages dans le ciel et des pans de brume accrochés aux arbres, au village. Les corneilles sautillent sur la route pour se gaver de noix. Cette année encore je n’aurai même pas vu partir les hirondelles. Il faut dire qu’il est loin, le temps où elles se rassemblaient par centaines sur les fils électriques avant le grand départ. Les grands départs dorénavant, c’est en catimini qu’ils se font.    

 

16 octobre 2013

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