Vigie, septembre 2014

 

 

 

DE L’ÉCRIVAIN PUBLIC  

 

 

Cette très belle journée comme hier commence dans la brume – la brume que l’on regarde glisser le long de la montagne et former avec celle-ci d’éphémères tableaux chinois. Les geais s’agitent dans le grand pin. À cette époque de l’année on entend à nouveau des chants d’oiseaux, écho automnal à la frénésie printanière. Comme on prépare une migration, comme on répare un nid, je m’affaire aux préparatifs de la publication du Grillon de l’automne et de L’éloignement, qui paraîtront en octobre. J’ai la chance de pouvoir travailler en confiance avec Lionel Bedin et Marie-Thérèse Mutin et puis donc participer au choix des couvertures, ce qui est loin d’être toujours le cas. M’accaparent aussi les ultimes relectures, les dernières retouches…

J’ai dit que j’étais prêt à assumer mon « écrivanité ». J’écris donc, comme toujours, mais avec maintenant la volonté de rendre publique cette activité restée longtemps souterraine. L’engagement que j’ai pris m’interdit les tergiversations. Je sais que ça ne sert pas à grand-chose, que ça n’est pas suffisant pour faire face au désastre collectif et intime vers lequel nous filons. J’écris, je rends publique et je rends au « public » l’écriture, je publie. Ce n’est certes pas pour l’argent (il faut être bien loin de la réalité du métier d’écrivain et du monde de l’édition pour imaginer que publier puisse rapporter de l’argent – sauf cas particulier, et je ne parle même pas de ces livres à scandale qui sont sans rapport avec la littérature). Je ne le fais pas non plus pour la gloire, pour la gloriole, pour le plaisir d’être flatté ou rassuré. La perspective d’un éventuel « succès », de toute façon improbable, m’embarrasserait plutôt. 

Je le fais parce que j’ai senti plus d’une fois que c’était ce que je devais faire, que c’était la seule chose que je pouvais et devais faire (on passe souvent de longues années avant de le savoir…). La vie sans l’écriture, la vie toute nue, m’est trop souvent apparue comme invivable pour que je puisse encore me permettre des mises à l’épreuve de dix années de  faux silence. Je tisse donc avec des mots cette toile qui parfois occulte la réalité, parfois me protège de ses agressions, parfois me met en contact plus subtil avec elle. J’ai par moments le sentiment d’une activité insupportable, artificielle. À quoi bon redoubler avec des phrases tout ce que je vis, ce que je vois, ce que je sens ? Et le faire en public, avec ça ! On dirait un adolescent étalant les petits riens de sa vie privée sur Internet. Je n’exclus pas qu’il y ait là un besoin commun, un besoin de dire au fond (et non seulement de montrer), parce qu’on est bien conscient qu’une vie sans musique, sans paroles, sans récit, sans images, perd encore plus facilement le peu de sens qu’on peut lui trouver…  

 

11 septembre 2014

 

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