Vigie, septembre 2014

 

 

 

FRAGMENTS D’UN RÊVE  

 

 

Ce rêve ressemble à une succession de photogrammes animés qui parfois se figent et  redeviennent de simples photographies. 

Nous sommes tous autour d’une grande table familiale où se retrouvent les vivants et les morts, mon grand-père, ma grand-mère et ma mère, ainsi que d’autres membres de la famille. Je m’exclame : c’est étrange, on retrouve tout à fait l’atmosphère de Montluçon ! Et pourtant ce n’est pas la maison de Montluçon, c’est une maison inconnue, assez froide, sans rien aux murs (sans aucune de ces photographies familiales dont la contemplation m’a toujours provoqué une sorte de malaise, comme aussi devant ces albums qui vous replongent sinistrement dans un passé défraîchi, mort, inatteignable). 

La table, qui devrait être couverte de victuailles, est vide. On entend des conversations. Je retrouve le timbre des voix familières, mais qui semblent déplacées, ralenties. (Rien d’étonnant à ce rêve, puisque j’avais comme souvent, avant de m’endormir, longuement regardé d’anciennes photographies.)  Un autre moment du rêve. Cette fois je suis dans le jardin de cette même maison qui ressemble à une de ces nombreuses maisons de location que nous avons habitées ces dernières années. Je constate que l’arbre planté au moment de la mort de ma mère est lui-même mort. Ce ne sont pas seulement les feuilles du cognassier qui pendent lamentablement, jaunies bien avant l’heure. Le tronc pourri me reste en main. J’enjambe alors le grillage pour mieux déterrer et remplacer l’arbre. Ce geste d’enjamber le grillage a, dans le rêve, quelque chose d’une transgression — et ce d’autant plus que je le fais sous le regard inquisiteur d’un voisin inconnu, un vieillard assis sur une chaise et qui me regarde entrer sur son terrain sans me dire un seul mot mais avec un air dur. 

Je m’empresse d’enlever le tronc mort et de le remplacer.  Me revient encore une dernière bribe de ce rêve, à l’intérieur de la maison cette fois. Mon père me demande comment je fais pour ne pas avoir peur. J’éclate en sanglots. Je lui dis que j’ai peur, affreusement peur. Et j’énumère alors, comme dans la chanson d’Allain Leprest que chante si justement Jean Guidoni, « J’ai peur », tout ce qui me fait peur, toutes les raisons d’avoir peur, et surtout cette perspective qui me terrorise : la mort de mes propres enfants, voués eux aussi à n’être plus un jour qu’un corps crispé par la douleur dans un lit d’hôpital, finalement cadavre. 

4 septembre 2014

  

Ce contenu a été publié dans 2014. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.