Vigie, septembre 2014

 

 

 

DU MATIN AU SOIR  

 

 

Bribes de rêves assez enfantins. Il y était d’abord question de fouilles sur une île au trésor : je découvrais quelques objets en or qu’il fallait dissimuler au plus vite en se laissant tomber dans une sorte de ravin boueux. Puis d’un voyage dans un paquebot qui prenait feu. J’avais conscience d’être dans un rêve, et je commentais cette situation en comparant ce navire en feu, le rêve et l’écriture.  

Puis je marchais dans la forêt amazonienne, voyais passer des Indiens exagérément emplumés, me retrouvais dans un village indien qui ressemblait plus à un décor de cinéma qu’à Taluen ou Twenke (ces vrais villages wayanas où je suis allé naguère). Tous ces Indiens étaient maquillés en noir, comme avec du charbon, et je tendais mon stylo noir pour qu’on fasse de même avec un enfant blanc qui faisait partie de mon groupe et qui avait été, semble-t-il, capturé. Un maraké avait lieu, et je revois encore cet homme qui se cambrait en arrière en réprimant un cri à cause de la vannerie grouillante de guêpes qu’on lui appliquait sur le torse.  

Me reviennent aussi en mémoire les images d’un hôtel à l’aubergiste douteux, de cette chambre dans laquelle j’avais déposé nos accordéons, d’une sorte de train ouvert qui longeait la mer et à l’intérieur duquel j’écoutais de la musique. Une femme-araignée qui jouait du violon finalement me tranchait la gorge (ou s’apprêtait à le faire) avec son archet, et je jugeais ce rêve « très psychanalytique »…  

Je ne sais pas quelle faille du rêve s’est immiscée, à un moment donné, cette autre image, beaucoup plus réaliste, de ma mère jeune, que j’accueillais d’abord avec soulagement avant de dire : mais non, c’est impossible, nous sommes encore dans le rêve car je sais bien que tu es morte.  

 

*  

 

Fracas de cymbales, grosses caisses, éclairs dans la nuit. Au crépitement de la fenêtre de toit répondent les froissis des bouleaux, du tilleul. Après cette longue journée de tiédeur excessive l’orage semble d’une brutalité, d’une violence stupéfiante – mais cette brutalité, cette violence, on les accueille avec le flegme de celui qui se croit protégé par son toit (il suffirait d’un suintement pour qu’on se montre moins serein). 

La chienne, elle, comprend. À mesure qu’elle vieillit et se rapproche de sa fin croît sa peur de l’orage. La voici couchée près de moi, contre moi, et le regard qu’elle me jette est le même que celui des bêtes qu’avant elle j’ai vu mourir dans mes bras.  

L’orage, comme un cauchemar réel.  Des rideaux de pluie balayent la terrasse sur laquelle nous mangions paisiblement il y a une ou deux heures à peine. L’eau cingle la vitre comme le pare-brise de la voiture en cette nuit du Quatorze juillet, à l’approche de l’hôpital. Je ferme la fenêtre, tire le rideau pour épargner à la chienne la vue des éclairs (mais seule la fin de l’orage pourrait la rassurer).

L’électricité saute, l’orage impose son chaos. On ne peut plus éviter de voir ses éclats. On ne peut plus lire, se réfugier derrière un écran – écrire, on peut encore, par intermittence. On retourne à la fenêtre, et l’on regarde la campagne illuminée de loin en loin par ces éclats blafards qu’on cherche à nouveau à fixer au hasard…  

 

8 septembre 2014

 

Ce contenu a été publié dans 2014. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.