TOUTES CES CHOSES QU’IL ÉTAIT BON DE VOIR
Nuit d’orage et de rêves agités. Je roule sur une route qui est à la fois route de montagne (assez semblable à celles qu’on peut voir par exemple dans le Beaufortin) et route de Guyane. Soudain je vois, au bord de la piste forestière, S. qui semble attendre. Je m’arrête brusquement, imprudemment, pour prendre de ses nouvelles (je sais qu’elle souffre du cancer) et éventuellement la ramener chez elle. Je m’aperçois qu’elle est aveugle. Je la ramène jusqu’à une maison assez isolée en lisière d’un village qui ressemble à Maripasoula. Je revois encore assez vaguement un intérieur modeste, quelques tables et des chaises.
Plus tard dans le rêve, me voici en avion. L’avion, un petit bimoteur à hélices, a un problème à l’aile gauche et tangue dangereusement. On n’est vraiment pas sûrs de s’en sortir vivant. J’ai très peur du choc prévisible à l’atterrissage…
De cet atterrissage je n’ai aucun souvenir mais plutôt et seulement de l’arrivée encore plus brutale dans le hall de l’aéroport de Rochambeau en Guyane. Il s’agit cette fois bel et bien de la Guyane, dont je retrouve les sensations, la moiteur. Dans la cohue des habitants venus attendre les passagers fraîchement débarqués, seul au centre d’un cercle vide, se tient ma mère. Ma mère telle qu’elle était du temps de la Guyane, avec non pas une perruque pour masquer la perte des cheveux, mais ses propres cheveux frisés par l’humidité (elle détestait cela). Elle se tient là, radieuse, et elle nous attend. Je cours pour l’embrasser mais, tout comme dans l’Odyssée à laquelle je ne pense d’ailleurs qu’après coup, elle reste insaisissable. Elle ne m’entend pas. C’est bien elle, et le rêve est d’un réalisme extrême ; mais elle ne m’entend pas, et je ne peux pas l’embrasser. Je pleure. La douleur est telle que je me réveille en sursaut. Une douleur trop vive pendant le temps de veille provoque l’évanouissement ; une douleur trop vive pendant le temps de rêve provoque le réveil.
C’est un autre rêve que ce paysage de plus en plus automnal, ces chemins jonchés de feuilles trempées après l’orage d’hier soir, cette lumière pâle sur les champs rasés, ces bouleaux jaunissants, ces poiriers, ces pommiers de plus en plus lourds, croulant sous leurs fruits. Voici à nouveau la brume et les nuages. Des pommes très rouges dans le brouillard. Des écoliers qui attendent leur bus ou qui vont à vélo. La ligne sombre de la montagne qu’on voit à travers la brume fine et bleutée comme une fumée de cigarette. Les chevaux dans les prés. Toutes ces choses qui sont si bonnes à voir.
Plus j’avance moins je comprends. Seules s’affinent peut-être les perceptions, l’incertitude, et ce sentiment d’étrangeté devant tout ce qui est.
9 septembre 2014