Vigie, mars 2009

 

 

 

LA MORT, LE MONDE

 

Léo et moi mangeons assis à même la terrasse pizza et fromage blanc, un œil sur le grosbec qui tourne depuis quelques jours autour de la maison.

Longue balade à travers champs. La mare est pleine de sacs gélatineux contenant des milliers de batraciens. On observe une énorme grenouille occupée sans doute à pondre, cependant qu’un couple de colverts fourrage dans leur coin. On resterait bien là toute l’après-midi.

 

 

Longue et revigorante conversation d’après Guyane avec Pascal (je constate que la possibilité de l’échange ravive et clarifie l’envie d’écrire). Me troublent alors fortement certains propos sur la mort qui, alliés aux paroles de Dominique A, me conduiront bientôt à franchir les portes d’un ancien monastère…

Chercher ce qui reste par-delà la nostalgie primitivisme (figure d’Indien numéro un), le constat désabusé (figure d’Indien numéro deux), réincarner en soi les possibilités entrevues (figure d’Indien numéro trois) — et esquisser un autre horizon par-delà l’écriture, l’écrivain, l’artiste, une vie plus vaste. À l’horizon une sérénité peut-être même face à la mort.

La mort.

Léo fait ses premières expériences. Il est cette pieuvre au fond de l’océan de La planète bleue. Soudain la murène le malmène, manque le croquer. Hurlements, terreur. Hé oui mon grand, il s’en est fallu d’un cheveu…

Léo de nouveau adorable, joueur, posant sur tout ce regard émerveillé qui défie les apparences et métaphorise le monde — racines serpents, jambes qui sont des ponts, des tunnels, des montagnes, humains aux formes variables, animaux à tête d’humain, et tu tutoies le monde comme un vieux camarade, d’ami à ami, d’égal à égal, pas exclu mais complice. Le monde est à toi, en toi.

 

*

 

Jour de pluie et de bruine froide. Le printemps pourtant : ces bouquets de jonquilles qui poussent une fois de plus au même endroit de jardin. Une heure durant Léo et moi détachons les lambeaux d’écorce le long des troncs blancs des bouleaux. Traces de craie laissées sur les doigts.

Le carnet nouveau est arrivé, annonciateur de belles pages de silence et de quiétude. Le printemps lui aussi est là. On achèvera ce carnet là, au bleu pâle de Saou, avec les derniers jours de la mauvaise saison.

La flûte indienne. Les chants des passereaux. Contre le silence stérile revenir ainsi aux sources du son, à la musique du monde.

 

27 et 30 mars 2009

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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