Vigie, avril 2015

 

 

 

L’ESPACE ET LE TEMPS

 

 

L’espace est la chance que le temps a mis à ta disposition…

Jacques Réda

 

Un avion silencieux piloté depuis le sol tourne dans le ciel pâle. Chacun s’arrête pour regarder. Même les enfants cessent leurs jeux pour suivre des yeux les loopings de l’avion télécommandé. On n’entend plus qu’un léger sifflement dans les montées, et la clameur des moineaux. À l’autre plus gros avion à hélices qui traverse la combe nul ne prête attention : trop lourd, trop bruyant, sans élégance, vulgaire – utilitaire : il y a même des passagers à bord !

Puis les jeux reprennent, les tours de vélo, les rires, les courses, le vertige des balançoires, toute cette frénésie printanière (mais le printemps n’y est pour rien et la frénésie se maintiendra encore quelques saisons durant, quelles que soient les saisons…) par lesquelles l’enfance se joue du temps en habitant triomphalement l’espace.

S’arrêter pour goûter, il n’en est pas question – seul le vol de l’avion miniature y est arrivé pour un temps. Les ombres s’allongent, les cris redoublent et se répercutent de plus belle jusqu’au fond de la vallée (je suis sûr qu’on les entend des crêtes). Passent encore sur le carrousel de la Vallée des Huiles deux parapentes légers comme pissenlits fanés, un rougequeue noir en tenue de parade, des parents, des grands-parents avec leurs enfants et leurs petits-enfants, deux très vieilles dames qui marchent très lentement, des tout jeunes en scooter, des voitures, des vélos, des oiseaux, des chiens, passe ainsi le temps doux du printemps.

Tête renversée, l’enfant à coup de pied repousse jusqu’au fond de l’espace la boule éblouissante du Temps.

 

 

Bourget-en-Huile, 12 avril 2015

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