Le Martin-Pêcheur (Les Mottets, avril 2015)

 

 

Un foulque glisse à la surface de l’étang, sur laquelle il semble soudain prendre appui, se hisser et, s’enroulant sur lui-même, retomber avec assez de force pour percer dans le miroir de l’eau un petit trou bouillonnant qui se referme aussitôt derrière lui, et dont les ondes concentriques brouillent tous les reflets ; après quoi l’oiseau reparaît plus loin, près du bord, son col noir tout ruisselant de perles, et se laisse dériver jusqu’au prochain plongeon. On l’admire. Aussi commun soit-il on lui trouve aujourd’hui une grâce d’eider ou de plongeon arctique. Un peu plus loin un congénère – peut-être sa compagne – couve, cependant qu’un autre à la patte cassée gît sur la pelouse, à l’écart mais pas à l’abri du prédateur qui ne manquera pas de repérer tôt ou tard cette proie bien facile…

Cris d’enfants, cris de grenouilles, cris de foulques et de poules d’eau. Clameurs des passereaux, rumeur des passants, vrombissements des insectes, des avions. Trilles de la mésange, cancan de deux colverts, appel du cygne occupé à couver, paroles des passants. On est assis en silence au sein de cette bruyante quiétude familiale et printanière, à guetter le martin pêcheur qui ne se montre pas.

Pas besoin de creuser bien profond dans ta mémoire pour trouver des images comme celles-là, pour sentir monter tout droit de tes plus doux printemps des odeurs comme celles-là : vase, miel, propolis des premiers bourgeons, herbe fraîche. Cette silhouette qui passe derrière les lilas en fleurs tu la reconnais aussitôt, un très bref instant tu t’illusionnes, tu te laisses aller au sursaut du tout premier geste de joie que procureraient ces impossibles retrouvailles – un instant, moins qu’un instant…

Laisse les passants, guette l’oiseau.

Une bergeronnette chante au soleil, tache blanche sur l’arbre à peine vert.

Une rousserolle fait bouger les roseaux.

Sur le bord du carnet se pose une éphémère, qui doit vivre cette unique journée de sa vie avec une intensité inconcevable, je suppose ?

Un bébé pleure, un merle chante.

Il pagaye à bonne allure, ce colvert inquiet que poursuit son rutilant reflet.

Ah, les fruits bariolés des chardonnerets dans les noisetiers !

« Dépêche-toi Adrien : ici, il n’y a pas de cailloux ! » dit la mère à l’enfant, et ces paroles prononcées pour le petit garçon inconnu qui s’appelle Adrien, ainsi répercutées jusqu’au carnet me font penser aux reflets des oiseaux et des passants qui pareillement se mêlent dans le miroir de l’étang.

Ce tronc soudain très visible, la lumière tendre de ce tronc au bord de l’eau, les fourmis qui le parcourent et ces calligraphies sur son écorce claire :  je vois soudain cela avec une précision inouïe…

Plus tard ce jour-là les enfants sans craindre l’eau froide se baigneront dans le lac, et il y aura dans le cristal de leurs rires et l’éclat de leurs regards une autre forme de clarté, de précision ; mais du martin pêcheur on ne verra finalement (et il faut se méfier des mots en général et des titres en particulier, qui ont en commun de faire des promesses qu’ils ne tiennent que rarement) pas la moindre trace.

Lac du Bourget, Les Mottets, 24 avril 2015

 © Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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