Vigie, juin 2011

 

 

  

PETITE ÉPIPHANIE DE JUIN

 

 

Pas un nuage

souffle très doux

papier froissé du rougequeue

tchip-tchip sonore du moineau

une scierie au loin

les sonnailles des vaches

le tic-tac pesant de l’horloge

tous ces bruits familiers qui

rehaussent le silence

 

le silence

 

entre la buse qui cercle

puis disparaît dans le ciel sans nuage

et cette pièce vide toute parée de couleurs

un lien ténu

comme le fil invisible

d’une araignée céleste !

 

La maison

vue depuis les crêtes :

un point minuscule.

 

Juché au faîte du poirier

le rougequeue n’ignore plus

que nous sommes voisins.

 

Papier froissé

sur le poirier

dans la corbeille.

 

Finalement

il y a peut-être rien d’autre à faire

que de lisser sa plume

en entonnant un air brouillon

papier froissé

 

écouter sans écouter

parler sans parler

écrire sans écrire

voir sans regarder

être là

intensément, désespérément là

un rien rayonnant

un petit rien du tout raisonnant

un petit rien du Grand Tout

raturant

se biffant

éclatant en sons en images

en couleurs en parfum et

se dissolvant dans le ciel

 

Froisse ! Plie et déplie

délire et déploie

entre dans la danse sans danseur

le spectacle sans spectateurs

au gré du vent allant et venant

allant et venant.

 

Écoute cette parole 

prononcée par personne et

souviens-toi de la neige

de l’enfant dans la neige.

 

*

 

L’enfant, dix ans, marchait dans la neige. Bruit de ses pas dans la neige, bruit des flocons tombant sur la neige. Soudain plus un son. Silence absolu, blancheur inouïe. Il s’arrête. Quelque chose en lui se creuse. Comme tout est net. Comme ce fut bref, et simple et précis. Lui vint alors le besoin de dire. En rentrant il écrit, fébrile comme aujourd’hui : « Un grand vide ».

À qui le dire ? Pourquoi le dire ? Il pressentait quelque chose de si beau, de si ténu, de si précieux, d’insaisissable et de si simple aussi.

 

*

 

Cherche

cherche sans chercher

comme un air entêtant dont on ne trouve plus le titre

et qui paraît si mystérieux

(sitôt collée l’étiquette du nom

le mystère en partie s’évanouit)

 

Cherche encore creuse

cette sensation d’abandon de blancheur

de neige et de silence

à la crête des montagnes

ou dans le creux des mots

cherche

 

Ces poèmes

les premiers entendus

la blancheur même —

ou juste son écho.

 

Tu écrivais alors

(en voici les traces retrouvées tantôt dans un tiroir)

« l’écho de la brume au fond de l’immeuble blanc »

des sensations d’espace

toute une cartographie

Nord-Sud-Est-Ouest

de visions et d’images.

 

Comment as-tu pensé

ayant un jour senti cela

que tu pourrais t’en détourner ?

 

Tout juste si tu as pu

faire semblant

— à peine et sans y croire.

 

Ton monde n’est pas solide

tout y tremble tout y respire

les illusions sont venues après

tant de tangage t’a fait peur

maudite soit ta peur

il n’y avait, il n’y a qu’à tanguer !

 

Aujourd’hui sans peur 

réapprends la langue de l’oiseau

renoue les liens

que rien ne dénoue 

le fil continu

du discontinu

tisse la trame d’un poème tranchant

d’un poème agissant généreux flamboyant

d’un poème vivant 

aux cinq éléments

aux six sens

aux dix directions 

lance l’invocation victorieuse

qui annonce ta disparition

c’est maintenant

encore et toujours

et le ciel d’été est soudain traversé

d’un amour multicolore

en gerbes de bonté les mille fleurs

d’une gratitude sans limite

 

le monde alors est parfait

parfait le bruit de la cloche

parfait le clip-clop du cheval qui passe sur la route

ou le bourdonnement de la guêpe qui cherche la sortie

 

harmonie

union

ouverture

 

qu’ici et maintenant grâce soit rendue 

à la perfection de ce monde

que rien ne saurait souiller.

 

 

27 juin 2011

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