PETITE ÉPIPHANIE DE JUIN
Pas un nuage
souffle très doux
papier froissé du rougequeue
tchip-tchip sonore du moineau
une scierie au loin
les sonnailles des vaches
le tic-tac pesant de l’horloge
tous ces bruits familiers qui
rehaussent le silence
le silence
entre la buse qui cercle
puis disparaît dans le ciel sans nuage
et cette pièce vide toute parée de couleurs
un lien ténu
comme le fil invisible
d’une araignée céleste !
La maison
vue depuis les crêtes :
un point minuscule.
Juché au faîte du poirier
le rougequeue n’ignore plus
que nous sommes voisins.
Papier froissé
sur le poirier
dans la corbeille.
Finalement
il y a peut-être rien d’autre à faire
que de lisser sa plume
en entonnant un air brouillon
papier froissé
écouter sans écouter
parler sans parler
écrire sans écrire
voir sans regarder
être là
intensément, désespérément là
un rien rayonnant
un petit rien du tout raisonnant
un petit rien du Grand Tout
raturant
se biffant
éclatant en sons en images
en couleurs en parfum et
se dissolvant dans le ciel
Froisse ! Plie et déplie
délire et déploie
entre dans la danse sans danseur
le spectacle sans spectateurs
au gré du vent allant et venant
allant et venant.
Écoute cette parole
prononcée par personne et
souviens-toi de la neige
de l’enfant dans la neige.
*
L’enfant, dix ans, marchait dans la neige. Bruit de ses pas dans la neige, bruit des flocons tombant sur la neige. Soudain plus un son. Silence absolu, blancheur inouïe. Il s’arrête. Quelque chose en lui se creuse. Comme tout est net. Comme ce fut bref, et simple et précis. Lui vint alors le besoin de dire. En rentrant il écrit, fébrile comme aujourd’hui : « Un grand vide ».
À qui le dire ? Pourquoi le dire ? Il pressentait quelque chose de si beau, de si ténu, de si précieux, d’insaisissable et de si simple aussi.
*
Cherche
cherche sans chercher
comme un air entêtant dont on ne trouve plus le titre
et qui paraît si mystérieux
(sitôt collée l’étiquette du nom
le mystère en partie s’évanouit)
Cherche encore creuse
cette sensation d’abandon de blancheur
de neige et de silence
à la crête des montagnes
ou dans le creux des mots
cherche
Ces poèmes
les premiers entendus
la blancheur même —
ou juste son écho.
Tu écrivais alors
(en voici les traces retrouvées tantôt dans un tiroir)
« l’écho de la brume au fond de l’immeuble blanc »
des sensations d’espace
toute une cartographie
Nord-Sud-Est-Ouest
de visions et d’images.
Comment as-tu pensé
ayant un jour senti cela
que tu pourrais t’en détourner ?
Tout juste si tu as pu
faire semblant
— à peine et sans y croire.
Ton monde n’est pas solide
tout y tremble tout y respire
les illusions sont venues après
tant de tangage t’a fait peur
maudite soit ta peur
il n’y avait, il n’y a qu’à tanguer !
Aujourd’hui sans peur
réapprends la langue de l’oiseau
renoue les liens
que rien ne dénoue
le fil continu
du discontinu
tisse la trame d’un poème tranchant
d’un poème agissant généreux flamboyant
d’un poème vivant
aux cinq éléments
aux six sens
aux dix directions
lance l’invocation victorieuse
qui annonce ta disparition
c’est maintenant
encore et toujours
et le ciel d’été est soudain traversé
d’un amour multicolore
en gerbes de bonté les mille fleurs
d’une gratitude sans limite
le monde alors est parfait
parfait le bruit de la cloche
parfait le clip-clop du cheval qui passe sur la route
ou le bourdonnement de la guêpe qui cherche la sortie
harmonie
union
ouverture
qu’ici et maintenant grâce soit rendue
à la perfection de ce monde
que rien ne saurait souiller.
27 juin 2011