Vigie, juin 2011

 

 

 

LES CINQ MONDES

 

 

Sur l’autoroute une buse a provoqué un accident dont elle a été la première victime : je revois le petit chiffon disloqué de son corps parmi les bris de verre. Maintenant le train file vers la Suisse (j’aime les trains). La tension des mains. L’inquiétude. Le souffle court de la dame assise en face de moi. Pour que disparaissent Nathalie et les petits il n’a vraiment fallu qu’un instant… Le départ comme toujours fragilise. 

Allons, allons : « on ne pleure pas parce qu’un train s’en va »… 

Pourquoi dans les trains y a-t-il toujours l’un de ces hommes sérieux, affairés, parlant sérieusement d’affaires futiles ?

 

(Ce jour-là je tente en vain de retirer des francs suisses et me retrouve sans argent. Je rencontrerai grâce à cet incident Sylvie B., venue à mon secours, qui me fera ensuite rencontrer Vahé Godel dont la conversation me remettra sur le chemin de l’écriture. À ce moment-là je suis déjà, sans le savoir, en train de m’éloigner des enseignements du Dharma (ou de m’en approcher vraiment) pour reprendre le chemin de l’écriture. Mais je doute. Je me dis que ce n’est pas le bon train. Pourquoi n’annonce-t-on pas Martigny ? On me l’a dit, l’heure correspond, et j’ai croisé tantôt Fabrice Midal et Alexis Lavis sur le quai, qui sont montés dans ce train-là. Il n’y a plus  qu’à se laisser porter…)

 

*

 

Nuit courte, petit matin blanc. Nuages et rideau de pluie. Montagnes sans tête, horizon bouché, confusion, incertitude. On se sent d’une maladresse de moineau en mue. Le cadre est superbe mais je m’y sens enfermé, et fébrile. Face au grand pin qui bouge et au ballet des geais, impossible de maintenir la moindre stabilité. La posture vire à l’imposture, et tout tangue. Lotus dans la tempête je m’accroche à ma racine. Et puis me voici coque de noix ballottée, fleur coupée. Après tout je suis venu pour ça…

Au souffle de la parole le brouillard étrangement se dissipe. Voici les clés d’une éclaircie : des mots tout jaunes, dorés, qui font rutiler le réel ! Sensation de plénitude et de richesse retrouvée, arrogance ou stabilité du roc. La montagne est là. Je pars m’y promener. Le vent. Les couleurs. Profitant d’un rayon de soleil un superbe lézard vert s’avance sur un rondin. Un écureuil s’enroule dans le panache de sa queue comme une sorte de pangolin angora. Richesse et beauté d’un monde coloré.

 

(Le contenu de ce séminaire servira un temps de fil conducteur à la présente rubrique, à travers les cinq textes suivants : le monde jaune, le monde bleu, le monde rouge, le monde vert, le monde blanc.)

 

10 et 11 juin 2011

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