Aux frontières de la mémoire (avril 2015)

 

 

  

 

RETOUR AU QUARTIER LOINTAIN (Ferney)

  

 

Les cloches, la clôture, le portail cadenassé, le chant flûté d’un merle, le roucoulement d’une tourterelle bientôt effacé par le vacarme d’un avion, et le marron que je ramasse, que je caresse, ainsi que je faisais enfant. 

Les cloches, la clôture. Années les plus heureuses, les plus insouciantes de l’enfance : il y a cela derrière ces grilles. À revoir ce parc entouré par les hauts grillages et à entendre ici le son des cloches je comprends soudain d’où me vient mon goût pour les monastères. C’est, là-derrière, le monastère de l’enfance. 

Et je me souviens : les salamandres sous la souche, la rainette dans l’herbe un matin de printemps (c’était une vraie rainette, déjà rare à l’époque, et que je n’ai plus jamais revue), les coprins, les terribles amanites panthère, les champs de colza sur la rive suisse du ruisseau où je guettais les écrevisses… 

Tout m’est venu de là.

Je m’éloigne d’un pas rapide et prends sans réfléchir le chemin de l’école. 

Tout, je retrouve tout à mesure. Le petit bâtiment bas en bois sombre au milieu des immeubles, la pharmacie, l’échoppe du marchand de fruits et légumes, le magasin où j’avais acheté le cadeau pour ma mère, la haie de lauriers, l’école Florian.

Nouvelle grille, nouvelle frontière au-delà de laquelle je ne peux pas aller.

On n’a rien repeint, rien rafraîchi, mais remplacé la pelouse par des graviers et arraché, hélas, toute la haie de noisetiers et le grand laurier où je me réfugiais pour lire mes Jules Verne.

Nouvelle frontière infranchissable, grande cour grise déserte, et grand désarroi. 

Puis soudain un écureuil roux dégringole du peuplier, se tapit dans les graviers, regarde à gauche, regarde à droite, puis comme un enfant espiègle (ou comme l’incarnation animale d’un enfant qu’on imagine espiègle) traverse à petits bonds la cour et disparaît dans les fourrés.

Je garde sous ma peau la mémoire de son mouvement.

 

Douvaine, Genève, Bernex, Ferney, avril 2015

 

Remerciements chaleureux à Jean-Louis Michelot et à Pierre Hainard.

 

 

 © Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

 

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