Vigie, octobre 2015

 

 

 

CÉRÉMONIE D’AUTOMNE

 

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Le temps a tourné. À présent l’averse d’automne enveloppe la maison de sa gangue protectrice : belle rumeur, couleurs brouillées, crô-crô d’une corneille, odeur de feuilles mouillées.

À l’intérieur ça travaille, ça prépare son fruit. Assis devant la fenêtre ouverte pour mieux entendre et sentir la pluie, je joue interminablement le rondo en ré mineur de Purcell (une partition empruntée à Léo) sur le Bayan enfin réaccordé. Je scelle ainsi nos retrouvailles, après une séparation de plus de deux mois : je me réhabitue au poids de l’instrument, savoure l’accordage à l’unisson qui me permet enfin de jouer « plein jeu » sans subir de cacophoniques et brouillonnes vibrations. Une fois encore je constate que le pouvoir de fascination de la musique baroque est tel que je peux jouer longtemps le même morceau sans lassitude, et sans que mes maladresses de débutant ne fassent obstacle à la joie de jouer.

Qu’importe, au fond, le résultat. La musique comme la méditation est d’abord un travail sur l’attention. Mais l’attention dont il est ici question est très particulière. Il s’agit moins de surveiller quelque chose, que d’ouvrir un espace de disponibilité à un mouvement impersonnel. Je joue et rejoue le rondo de Purcell, qui se prête si bien au ressassement. Cela finit par devenir aussi machinal, presque aussi naturel que la respiration ; mais quand le machinal vire à la routine, quand des pensées personnelles viennent bourdonner dans la tête et couvrent la musique — la conscience, la sensation qu’on en a — le morceau, que je ne connais de toute façon pas encore assez bien, déraille.

Retour au souffle, au soufflet, à la présence.

Tout le travail est dans ce retour-là. La musique cependant, a cet avantage par rapport à la méditation de rendre audibles nos sautes d’attention et d’être partageable : fenêtres ouvertes, je partage avec la pluie d’automne, la corneille juchée sur le poirier, la terre entière, cette volée de notes dont la perfection mélodique et la richesse harmonique est un bienfait.

 

3 octobre 2015

 

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