Vigie, août 2020

 

 

« L’encre serait de l’ombre »

 

 

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Ce n’est pas tout à fait juste de dire que l’automne tombe d’un seul coup, puisque voici plusieurs semaines que, pour la trente-deuxième année (je ne compte pas les cinq premières ni celles passées en Guyane où il n’y avait pas d’automne), j’en perçois quotidiennement les signes avant-coureur, légers refroidissements, jours plus courts, tilleul qui ternit, averses de la mi-août, tapis de feuilles séchées dans le sous-bois, petites poires écrasées sur la chaussée là-devant la maison, châtaignes aux châtaigniers, etc.

 

Donc, cela faisait déjà quelque temps que je sentais venir la fin de l’été et que j’en étais discrètement affecté, puisque naturellement j’aurais préféré comme l’oiseau de Buson (« Tout un long jour mais jamais assez long pour l’oiseau chantant, chantant… ») et comme tout le monde, jouer les prolongations : ce n’est pas que l’advenue de l’automne ait quoi que ce soit en elle-même de tragique ou que l’automne soit moins beau que l’été (à dire vrai il est plus coloré, plus varié, plus respirable, plus riche en champignons, etc.), mais c’est simplement que le retour au temps contraint du travail et l’avancée dans les saisons font qu’on se sent moins libre. Moins de temps pour écrire. Moins de temps pour musiquer. Moins de temps pour aimer. Moins de temps pour vivre et moins de temps à vivre.

 

L’automne arrivait et pourtant c’est aujourd’hui qu’il est tombé. Il ne fait pas moins beau qu’hier, à peine moins chaud, on garde encore la fenêtre ouverte même si ce n’est plus pour rafraîchir les combles, mais c’est aujourd’hui. Je songe à la dernière escapade ensoleillée d’hier, avec ses envolées de flûte, ses passants attablés aux terrasses, ses eaux miroitantes, ses jeux de lumière dans les feuillages au-dessus de nos têtes, ses masques : le couperet de la sale nouvelle de la maladie d’un ami est tombé en même temps. Aujourd’hui les enfants rentrent, et dans quelques jours à peine on recommencera le grand bal masqué de l’école. Le carillon tinte à la fenêtre et je me reconnais moins que jamais dans la glace (car cette fois-ci j’ai fait tondre un caniche et je m’en suis fait une perruque : on peut comprendre ma perplexité lorsque je croise mon reflet).

 

« On chante, on chantera demain, on ne se tait pas, rien à faire… »

 

On musiquera, on écrira, on rêvera, on aimera et l’automne pour nous sera encore lumineux. L’art et l’amour ne sont pas des remèdes à la maladie et à la mort, puisqu’il n’y en a pas, mais ces deux paires-là ont en commun de poser sur le quotidien leur filtre éclaircissant ou assombrissant.

 

« L’encre serait de l’ombre » laissant obscurément deviner la source de lumière qui persiste.

 

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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