Vigie, avril 2021

 

 

 

La neige en avril

 

 

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Ce matin la lumière m’appelle à la fenêtre comme une bougie attire le papillon, à ces trois différences majeures que c’est le jour, que je ne suis pas un papillon et que la beauté du spectacle qui s’offre à moi m’éblouit sans me brûler. Un prunier en fleurs dans un paysage lui-même saupoudré de neige n’évoque plus l’hiver : c’est plutôt comme si la floraison printanière avait gagné les prés, les clôtures, les bouleaux, les saules marsault, les châtaigniers, les arbres morts, les toits des maisons et jusqu’à l’air où papillonnent encore de petits flocons légers comme des pétales. Mais à mesure que la lumière du matin rallume le jardin on remarque en outre que cette fine couche de neige ne masque les couleurs que pour mieux les révéler, un peu comme dans certains tableaux abstraits d’Hans Hartung. Le jaune très pâle des primevères, le jaune plus vif des forsythias, le rose tendre des cognassiers du Japon, le blanc cassé des fleurs du Prunier transparaissent sans qu’on distingue plus aucun détail – les fleurs du prunier, surtout, ainsi délicatement soulignées d’un liseré plus clair, semblent encore plus riches que d’ordinaire. Quand on rajoute sur tout ça un ciel bleu pâle orné de grands nuages crémeux, vieux rose, couleur de héron cendré ou franchement blancs, la silhouette arrondie de Bramefarine qui dort encore dans la pénombre comme pour mieux faire ressortir, au fond du paysage, la ligne éclatante de la Chartreuse au soleil, et cette perspective si nette et si attirante tout là-bas du côté du Vercors, on comprend d’une part qu’il est difficile de quitter la fenêtre pour aller vaquer à ses occupations, quelles qu’elles soient, et d’autre part que voyager, aller à la rencontre du monde, n’est plus tellement nécessaire puisque c’est le monde qui s’offre à nous – encore que tant de beauté matinale donne finalement envie de repartir, sinon bien loin, au moins dans les champs et les bois en compagnie du bon chien blanc qui n’attend que cela…

 

(Une heure après, on regarde les crocs blancs de Rimski s’attaquer aux stalactites de glaces qui dessinent elles-mêmes au-dessus du Nant une grande mâchoire étincelante, et des métaphores comme « les dents du givre » ou « les mâchoires de la lumière » prennent soudain tout leur sens.)

 

 

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