Route, mai 2014

 

 

AVANT L’ORAGE

 

Le vent s’est calmé, le temps reste blanc. Le ciel garde cette opacité de papier buvard, cet aspect granuleux qu’il a parfois juste avant un orage. On attend l’orage.

Ce matin la chatte Dana a attrapé une jeune mésange charbonnière qui venait d’effectuer son premier et dernier vol. Je me suis précipité pour ôter de ses griffes la petite boule de plumes tremblotantes, et l’ai prise dans ma main. Sa patte et son aile blessée saignaient. Je l’ai finalement posé sur le rebord de la fenêtre de la salle de bain, où elle ne risquait pas de retomber dans la gueule des chats et où ses parents pouvaient éventuellement revenir la nourrir. Je l’ai regardée un moment trembler, puis me suis absenté pour préparer les enfants ; quand je suis revenu les fourmis avaient déjà trouvé le cadavre.

Décidément nous allons vers l’orage. Le ciel est de plus en plus blanc. Les hautes herbes rongent la route, que des hommes en orange viendront bientôt dégager. Une légère brume semble s’être déposée sur le paysage, qui fait comme un voile de cendre. Devant la grande maison un peu délabrée qui ne voit jamais le soleil, enfoncée qu’elle est dans un repli de terrain juste au-dessus du torrent, un petit garçon blond joue dans le sable pendant que ses parents sont assis devant une table de jardin en plastique. Tout autour le feuillage des très hauts arbres bouge légèrement. L’air est tiède. Le petit garçon reste très concentré sur son jeu, comme sur une plage.

Martinets noirs cinglant le ciel blanc. Crêtes roussies comme en automne. Un cycliste casqué aux lunettes noires rectangulaires remonte la route avec un air conquérant, croisant au passage une petite vieille en fichu noir assez ratatinée qui monte en sens inverse, se réjouit de la douceur revenue et se plaint de cet air moite.

La maison grise perdue parmi les herbes est désertes à cette heure, car les enfants sont à l’école et les parents au travail. L’ouvrier en tenue jaune fluorescente ne pense à rien ; il regarde le fil invisible de sa débroussailleuse et transpire sous son casque. Sa fourgonnette est arrêtée au beau milieu de la route jonchée d’herbe, comme pavoisée, ainsi qu’on le fait je crois de certains chemins pour la fête des fleurs à Madère. Les deux autres ouvriers qui remontent cette route pour rejoindre la fourgonnette et leur camarade ont pris un pas martial, cependant que le chauffeur de bus slalome prudemment entre le gros camion de chantier arrêté et le bord du trottoir. Le professeur, en bleu lui aussi, se rend au travail. Il soliloque dans sa voiture dorée cependant que le ciel blanchit un peu plus de minute en minute, jusqu’à l’incandescence.

 

jeudi 22 mai 2014

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés. 

 

 

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