Vigie, août 2014

 

  

 

ŒIL CREVÉ

 

Et je repense à celle dont l’absence lance chaque jour un peu plus.

Elle qui a regardé pendant douze ans la maladie sur elle, la maladie en elle, comme on regarde en face le soleil, et sans cligner. Elle dont l’attention, les derniers temps, était presque entièrement tournée vers ce délitement qui s’était accéléré – comment aurions-nous pu nous autres, de l’extérieur, et déjà si lointains, mesurer cette distance qui nous séparait d’elle ?

Au soir de ce dernier dimanche où elle s’était réjouie d’avoir encore un peu de temps elle avait écrit, dans le carnet qu’elle tenait depuis longtemps : « Est-ce que c’est la fin ? »

Elle était tout entière absorbée par cette tâche de regarder venir sa fin. Aujourd’hui elle me fait penser à un peintre ou un écrivain au travail – mais ce travail était un abandon au chaos, pure déconstruction…
           
Je regarde à la fenêtre avec un œil crevé. Je regarderai toujours avec un œil crevé. J’ai changé de versant, quitté l’adret pour l’ubac, définitivement.

Tous deux aussi étaient comme les deux yeux d’un même visage. Leur visage ainsi demeure, et plus précieux encore cet œil rescapé – à protéger, à choyer, à aimer.

 

19 août 2014

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