Vigie, août 2014

 

 

 

DES PETITS RITUELS D’AVANT-LECTURE

 

 

Journée pluvieuse, on se replonge dans les livres reçus ce jour : les carnets Pour ne pas oublier d’Alain Lévêque, le dernier Réda que je n’avais pas encore lu, un volume de Pierre-Albert Jourdan… Avant même de commencer la lecture il y a le plaisir, et même le rituel presque solennel qui consiste à les regarder, à les considérer pour les beaux objets qu’ils sont, à apprécier la qualité d’impression, la texture du papier et, pour ce qui est du Réda de Fata Morgana, à en couper les pages. À l’heure des liseuses et du livre électronique c’est là sans doute un plaisir bien suranné… Je ne crois pourtant pas qu’il y ait le moindre antagonisme entre le livre électronique et le livre – moi qui use désormais autant de l’ordinateur que du carnet, publie des textes « en ligne » et m’apprête même à user d’un site « personnel ». La plupart des livres ne méritent pas d’être imprimés et peuvent aussi bien se lire sur un écran (qui offre par ailleurs des possibilités d’illustration intéressantes). Le livre que l’on prend, que l’on palpe, a une autre présence, et ce petit rituel qui consiste à le couper ou à le regarder comme je viens de le faire est une manière de donner à l’acte de lire une importance particulière. Oui, je m’apprête à passer en compagnie d’Alain Lévêque, de Jourdan, de Réda, une après-midi de mon temps – et c’est aussi important que de recevoir un ami très cher, ou de partir marcher sur un sentier en compagnie des enfants. Couper le livre c’est aussi dire d’emblée qu’il n’est pas question de rester passif, qu’on a à travailler, à œuvrer avec le livre, que la lecture qui va suivre sera unique, à l’image de cette découpe dont j’imagine qu’elle ne sera jamais tout à fait la même suivant l’humeur, la personnalité du lecteur, l’outil qu’il utilise (pour ma part, un Opinel bien aiguisé car j’ai perdu depuis des lustres mon vieux coupe-papier…).

Je prends le livre, je l’accueille, j’offre à la lecture qui va suivre tout l’espace nécessaire : cette pièce sous les combles, ce grand transat rouge que je destinais à ma mère malade et qui me sert désormais pour lire et écrire, cette table basse qui croule sous les carnets, les volumes, mais où j’ai également déposé le thermos de thé vert et la tasse qui me sont presque aussi nécessaires que les livres… Tout est en place. Raffinement suprême : aller jusqu’à différer encore un peu la lecture en écrivant ces lignes, qu’il est temps de refermer pour laisser enfin place à celles d’Alain Lévêque.

 

19 août 2014

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