Vigie, août 2014

 

 

 

FEINDRE ?

 

 

Lune rousse, chant de chouette. J’ouvre la fenêtre et je regarde le va-et-vient des chauve-souris, les insectes. Nuit qui sèche ses plumes. Nuit qui rallonge, et l’on sent déjà l’urgence de septembre, le temps qui s’accélère et même, qui s’emballe, comme le sable juste avant que le sablier ne se vide, comme la vie à ses derniers instants (et après on répète que tout est allé si vite…).

Je tentais ces jours-ci de revenir sur ce livre inabouti que j’avais intitulé Derrière les lignes. Je l’avais écrit d’un trait, dans l’élan de L’éloignement et dans l’urgence de la maladie (celle de ma grand-mère, qui fut un lent et pathétique effondrement, et celle de ma mère qui mettrait encore – c’était l’été 2012 – deux ans à l’emporter). Ce travail qui ne correspondait à aucune nécessité profonde au mieux m’ennuyait, au pire me dégoûtait. À quoi bon revenir sur ces images pas moins mortes que celles que j’enregistrais parfois avec un caméscope ou un appareil photo ? On ne peut cependant pas douter sans cesse et, prétextant le doute, arrêter de travailler. Je ne peux plus me permettre de laisser tranquillement les images s’accumuler pendant douze ans avant de reprendre la plume. Est-ce que je me leurre encore, me prenant une fois encore pour l’écrivain que je ne suis pas ? – Je délaissais alors un moment les textes pour aller m’exercer à un autre langage plus sonore, plus tonitruant et pas moins exigeant (« Tristesse » de Chopin dans une version simplifiée et adaptée pour un accordéoniste débutant).

J’ai peut-être compris ce soir où le bas blessait.

Je ne peux pas faire comme si de rien n’était.

Je ne peux pas continuer à récrire au présent des poèmes d’avant, d’avant le Quatorze Juillet.
           
Je ne peux pas faire semblant d’être encore sur ce versant-là de ma vie.
           
Il y une faille qui désormais sépare la vie en deux, et les textes d’avant avec ceux qui, maintenant, peuvent éventuellement être écrits.
           
J’ai repris des fragments de ce livre avorté en les réécrivant au passé et en les entrecoupant de notes actuelles. Dialoguer avec ce passé, je le peux ; c’est feindre qui m’est interdit.

 

5 août 2014

Ce contenu a été publié dans 2014. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.