Route, septembre 2013

 

 

 

ET C’EST AINSI QUE L’ON REPREND LA ROUTE… 

 

Et c’est ainsi qu’on reprend la route quotidienne, la route ordinaire qui mène de l’automne à l’hiver, de l’hiver au printemps, et ainsi de suite. Voici le grand pré du Bourget où broutent les petites chèvres brunes de la ferme des Barruettes. Voici les troncs coupés alignés en contrebas de la route, et ce chalet que son propriétaire a voulu vendre après un seul hiver jugé trop rude. Et déjà les souvenirs de toutes les bêtes ici croisées, cerfs, sangliers, blaireaux, chevreuils, reforment leurs processions…

Je redescends la vallée. L’été est terminé. Le temps gris rassure, qui fait comme un cocon. Voici le jardin couvert de fleurs de Joël, et puis le petit pont où il y aura bientôt du verglas. Le vieux couple qui habite à l’entrée de Répidon a pu, cette année encore, couvrir de fleurs le petit terrain bien enclos. Un jour il n’y aura plus de fleurs. 

Des travaux sur la route. Des feux orange qui clignotent. Aussi sûre, aussi ordinaire, aussi balisée puisse-t-elle paraître, la route reste semée d’embûches. 

Ah ! la cheminée qui fume à la grange du Verneil ! 

Le ciel se dégage côté Chartreuse. On annonce paraît-il une semaine estivale. N’importe. On verrait l’automne jusque dans un ciel transparent. 

Les pompons rouges de ces grandes fleurs ressemblent aussi à des feux clignotants. 

Et puis voici l’école-mairie de Presle, et l’alignement des bacs fleuris. Un peu plus loin, le grand éboulement et les travaux. Stop. Les ouvriers, centimètre par centimètre regagnent le terrain effondré… 

(Demain, ce sera la rentrée des classes. La première journée d’école de Clément. Beaucoup pleuré encore dans les rêves de la nuit, à cette idée du temps qui passe. Demain mes parents accompagneront Clément à l’école. Comme, naguère, il y a quatre ou cinq ans, pour Léo.) 

Bifurcation. Clignotants. La petite route d’Arvillard et cette combe aux cerfs. La forêt dense, presque oppressante. La baraque déglinguée. Le passage le plus froid. 

Bifurcation, clignotants. On remonte, on accélère. Il était ivre mort, celui qui a passé la tondeuse dans ce champ ! Les zigzags de l’herbe rase évoquent le tracé d’une limace géante. 

Les bosquets d’hortensias rappellent Madère, et la chanson de Brassens que mon père chantait aux enfants revient lancinamment : « La camarde qui ne m’a jamais pardonné d’avoir semé des fleurs dans les trous de son nez me poursuit d’un zèle imbécile… » Par bouffées l’émotion remonte,  traverse, se relâche, se disperse, comme fumée d’un feu bref. 

Au revoir Arvillard, me voici en Isère. Déjà les feuillages ont terni et on remarque les feuilles jaunissantes comme ces cheveux blancs à mes tempes. Pour qui passe distraitement, ce pourrait être encore l’été. Il y a encore des meules dans les champs, un peu ratatinées, affaissées, et je suis tenté d’ajouter : « comme malade », mais c’est en faire un peu trop (comme si l’acharnement pouvait faire office de talisman).

L’alignement des noyers juste avant le cimetière : les fruits, la mort. Le crottin des chevaux sur l’asphalte qui n’en peut rien faire. Les hirondelles encore à la Chapelle du Bard ! Il y a un siècle, elles devaient être des milliers. 

Puis la dernière ligne droite qui mène à Allevard. Le petit pont étroit où il faut ralentir (je le sais depuis que j’y ai laissé une partie du rétroviseur). Les corneilles dans le grand champ, fidèles au poste. Et Allevard, que je n’ai pas vu depuis deux mois, et où je vais retrouver mon collège qui n’est plus neuf et dont les boiseries auront, avec l’été, un peu vieilli. S’achève ainsi ce premier soliloque de la route en automne. Automne 2013. Automne qu’on espère semblable aux autres, sans drame mais pas sans menace, ni sans charmes.

 

2 septembre 2013

 

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