Route, septembre 2013

 

 

UN VOYAGE

 

Voilà, les enfants sont dans leur bus. On fera chacun de son côté une route un peu différente mais mêmement mouillée. Tout est trempé. On entend au-dehors le bruit sourd des pneus sur la chaussée jonchée de feuilles. Une mère accompagne sa fille. Un coprin a poussé sur le bas-côté. L’herbe des champs est déjà jaune, et les  montagnes dans les nuages. On a l’impression d’avancer dans un paysage flou, comme si on était myope. Léo s’impatiente, car myope, il l’est justement ! Il attend ses lunettes… On en est tous plus ou moins là : on attend des lunettes pour y voir un peu plus clair. 

A priori c’est plutôt mal parti. Là-bas dans la plaine, du côté du bourg, les nuages et le brouillard auxquels se mêlent la fumée de l’unique usine. Cela fait une nappe de brouillard au-dessus de laquelle s’élève une colonne de brouillard. 

Feu orange clignotant sur ce fond blanc sale : attention ! 

Qu’est-ce que c’est que ce drôle d’oiseau noir que je vois soudain se profiler dans la grisaille du ciel ? Un leurre pour cormorans égarés ? Une farce que des enfants ont accrochée à la cheminée ? Il faudra élucider cela plus tard, lors d’un prochain passage.

La route et moi slalomons entre les bancs de brouillard. Ce paysage est bien plus beau quand on y voit les Bauges. 

Du hérisson écrasé l’autre jour ne reste que la peau couverte d’épines. 

On s’enfonce. On descend. Ce n’est pas tout à fait les enfers, cela reste très confortable. On traverse un pont – puis, la remontée. Les mélèzes encore verts. En contrebas à main droite, une petite forêt de grands bouleaux dégingandés : on dirait de vieux adolescents. Debout sur ses pattes, un gros chat noir boit dans un bidon. N’a pas trouvé plus pratique, celui-là, avec toute cette pluie ? 

Je croise au ralenti un camion trop gros pour la route, et j’imagine déjà les soucis à venir si je glisse au fossé… 

Voici la place d’Arvillard où attendent sous leurs cheveux et sous la pluie des adolescents longilignes. La petite croix rouillée, qu’aujourd’hui on ne voit presque pas. De nouveau un pont et voici l’Isère. On a changé de pays ! 

J’accélère sans raison. Voici le tunnel des grands arbres. Un carton défoncé laissé là sur la route. Des feuilles très rouges sur fond de vert sombre. Un cheval gris. Des fils électriques arrachés. Un chat qui chasse dans le champ. Une corneille noire qui vole sur fond de brume ; une autre qui attend sur son fil. Le clocher de la Chapelle du Bard qui perce les nuages. Le petit cimetière, le stop. À mesure que j’avance, nuages et brouillards semblent s’écarter. Allevard émerge de cette nuit pluvieuse comme une sorte d’îlot.

 

23 septembre 2013

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

Ce contenu a été publié dans 2013. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.