La première marche de juin (Valpelouse, 2013)

 

 

 

 

Première marche de l’été à Valpelouse, qu’accompagne l’autre marche lente de deux nuages perdus dans le ciel sans fond. Les crocus dessinent les contours des anciens névés. Bruits d’eau. L’enfant se réjouit de l’escapade et déclare : « Les balades en montagne, c’est le meilleur de la vie ».

 

À l’abade : au dehors, en liberté…

 

La chienne est vieille, mais elle fait encore quelques glissades dans les derniers névés (ainsi que le font les corbeaux au Canada), et l’enfant l’imite. L’eau de la fonte des neiges forme sur le chemin mille autres petits chemins ruisselants et scintillants, qui de loin donnent l’impression que chacun marche sur l’eau. 

 

Même alourdie par l’âge, la chienne manifeste une grande joie.

 

Être là est bon. 

 

Marcher lentement sur cette herbe jaune, se retourner, s’arrêter, regarder les silhouettes d’autres marcheurs qui suivent la ligne de crête et se découpent sur fond de nuages mouvants et de ciel bleu profond. 

 

Écouter la rumeur du torrent en contrebas, peut-être l’appel d’une marmotte, le sifflement bref d’une bourrasque, le fin murmure de l’eau sur le chemin. 

 

Ce chemin-là, cela fait bien des années qu’on le parcourt, au début et à la fin de la belle saison. Voici donc une nouvelle belle saison ainsi inaugurée, avec cette nouvelle et familière douceur estivale. On passe à flanc de montagne comme l’ombre des nuages, dont les silhouettes tout autant que les crocus ou les chants des passereaux, disent le retour des beaux jours.  

 

On marche à flanc de montagne, dans ce présent tendu entre le passé (derrière) et le futur (en contrebas, le gouffre ; et tout là-haut, le sommet scintillant des Grands Moulins où j’ai promis que j’emmènerai l’enfant lorsque la neige aura tout à fait fondu…). 

 

La mouvante calligraphie des lambeaux de nuages dessine au-dessus des sommets, en une même écriture blanche, la réplique presque exacte des derniers névés. 

 

(Sept ans plus tard, je revois à travers ces lignes la silhouette de mon enfant, qui était encore un enfant, et de ma chienne morte, avec en arrière-plan la montagne inchangée.)

 

 

Belledonne, Valpelouse, 16 juin 2013

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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