Route, décembre 2014

 

  

UN SOCLE VIDE

 

Brouillard et pluie, route trempée, envols de pinsons gris au passage des voitures. Un petit nuage fume de la bouche du bavard comme la brume file. La forêt, elle, ne parle pas, mais respire de plus en plus lentement. Les bêtes ont froid. Les brebis se serrent. Les poules s’interrogent en gloussant le long de la clôture. À intervalles irréguliers les aiguilles chues des mélèzes font sur la route des taches ocre qui rappellent ces pelletées de sable qu’on jette après un accident pour cacher le sang. Tout finit de s’éteindre. Comme sur une peinture à la gouache qu’un enfant impatient ou rageur aurait finalement gâchée en mélangeant les tubes, les dernières couleurs se sont fondues en un acajou sombre assez uniforme virant par endroits au bordeaux – la couleur, dit-on, du dépassement des passions.

À propos de Passion, la Croix rouillée du carrefour que je viens de dépasser est maintenant invisible, fondue dans le paysage : ne reste qu’un socle vide. Je m’étonne qu’elle n’ait pas été repeinte en doré, et suppose qu’on peut y voir un souci de discrétion plus qu’un abandon ; on veut bien encore d’une croix au carrefour, mais visible seulement pour ceux qui regardent, ou bien que cela regarde…

On file sans plus souffler mot à travers ce paysage sombre.

1er décembre 2014

   

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