Route, décembre 2014

 

LE CHARME ENCORE VIF DE LA ROUTE

 

Ce qui m’étonne ce matin, c’est de voir à quel point je ne suis pas lassé du voyage de cette route. Les mots que je prononce ont beau être répétitifs, monotones comme ce trajet que je parcours, il me semble que c’est presque chaque matin toute une gamme de sensations nouvelles dont je recueille en passant les variations. 

Ainsi ce matin découvré-je, côté Chartreuse, un paysage d’une limpidité confondante, crêtes éclairées bien dessinées sur fond de bleu pâle que rehaussent quelques nuages fauves. Je n’arrive même pas à rattacher cette vision (le mot ne me semble pas trop fort) à des sensations hivernales, parce que l’air est très doux, humide, et qu’en principe cette douceur et cette humidité vont de pair avec un paysage brouillé. Je regarde la lumière sur le flanc blanc de la Chartreuse et je sens quelque chose de chaleureux, de touchant, qui me rattache à toute une mémoire du dehors. 

Tourner son regard vers la montagne illuminée ne mène peut-être pas à l’illumination mais donne de l’ampleur aux matins ordinaires (à ce matin ordinairement endeuillé pour le scribouilleur égoïste que je suis, mais qu’assombrissent pourtant certaines nouvelles tristes venues de l’autre côté des crêtes).

Je laisse derrière moi la haie des saules têtards dont l’orange a foncé un peu plus. Je redescends la petite route d’Arvillard maintenant réparée et fais face à la grande montagne blanche dont la face nord est encore dans l’ombre. Peu de neige sur ces crêtes. Plus de neige du tout dans la vallée. Je me demande pourquoi le simple fait d’habiter un aussi beau lieu, aussi vaste, aussi protégé, ne suffit pas à agrandir le cœur des gens. Si le dehors ou la nature peuvent indubitablement être une aide, un recours, nous adresser sans le savoir ni le vouloir ce que nous interprétons abusivement comme des signes, il faut bien reconnaître qu’ils ne sont pas la panacée, que leur puissance n’opère pas de la même façon pour tout le monde ni à tout moment, et qu’ils sont même passablement inopérants pour bon nombre de gens qui vivent dans la vallée aussi repliés, aussi coupés d’eux-mêmes et de l’ampleur du monde qu’on peut l’être, j’imagine, dans telle ou telle banlieue dite déshéritée. La haine ici aussi prospère ; si la beauté est partout la laideur l’est aussi !

Retour cependant au beau bleu pâle de l’horizon. Retour à la route et au charme encore vif de la parole et du mouvement.

 

15 décembre 2014

 

 

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