Vigie, janvier 2015

 

 

 

EN ATTENDANT LA NEIGE

 

Ce matin c’était presque le printemps. Les tambourinages des pics résonnaient dans les ruelles du village et l’on sentait, mêlés aux parfums aigres des troncs coupés, une odeur de terre fraîche qui montait dans l’air presque tiède. Douze degrés au thermomètre, et l’envie de partir rôder dans les bois me reprenait. J’ai regardé un moment les crêtes depuis la fenêtre de toit : je savais qu’une perturbation venait, qu’on allait perdre presque vingt degrés en deux jours, que la neige arrivait.

 

Toute l’après-midi je me suis replongé dans de vieux carnet parfois difficiles à lire. J’ai recopié un fragment qui parlait d’une averse de neige à Chambéry en janvier, quelques pages d’un séjour à Paris déjà ancien. Je constate que ces fragments-là ressemblent à s’y méprendre à ce que je peux écrire aujourd’hui. Ce n’est ni mieux, ni moins bien. Aucun progrès, aucune dégradation. Je ne vois pas mieux ni moins bien. Je retrouve dans ces carnets toutes sortes de citations, de références plus ou moins oubliées, et que j’aurais pu recopier telles quelles aujourd’hui. 

Il n’en résulte aucun découragement particulier. Je ne prétends pas faire autre chose que de tourner en rond, ainsi que je l’ai écrit d’ailleurs dans un chapitre de L’éloignement. C’est ma façon d’assurer la permanence. Je ne me lasse pas de ce ressassement, pas plus que je ne me lasse de la pluie, ou d’habiter ce lieu. À cause de mon dos douloureux je suis presque allongé dans le transat rouge entre la fenêtre et les livres. Je bois du thé en soliloquant pendant que les enfants jouent et que la pluie crépite. L’écriture me permet de vivre en parallèle plusieurs mois de janvier, une vie diffractée, multipliée, un peu plus foisonnante. Plus vivante.

À quoi bon retranscrire ces observations banales sur la neige ou la pluie ? Eh bien, c’est au fond très simple : cela me fait plaisir. Je dirais même que cela me rassure, comme me rassure le bel ordonnancement de la bibliothèque, les livres bien classés qui disent aussi les années écoulées. Je regarde au-dessus de la bibliothèque gauche les pommes de pin glanées un peu partout et mêlées à des graines de Guyane ; au-dessus de la bibliothèque droite ces pierres et ces cristaux que je traîne avec moi depuis l’enfance ; au-dessus de la bibliothèque centrale des crânes des bouquetins, fous de Bassan, marmotte, castor ou singe, et chacun d’eux me rattache aussi à une escapade passée. Je tiens bon les lignes du passé, je ne dévisse pas de cette falaise du présent parce que je m’y accroche.

Cette chambre aussi est un poème ou un rêve. 

Tout cela est en outre assez impersonnel pour que n’importe qui d’autre puisse prendre plus tard le relais, se mettre à la fenêtre et dire ainsi que je le fais : ce matin il faisait doux mais on annonçait la neige…

 

16 janvier 2015

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