Route, février 2015

 

 

 

MATIN DE NEIGE

 

 

Après deux jours d’averses on la reconnaît à peine, cette route boueuse, glissante, hostile et enserrée de part et d’autre par un muret de neige. Les enfants attendent en vain un bus qu’ils finissent, à force de jeux, par oublier complètement. Voici au beau milieu de la chaussée une troupe de beccroisés occupés, je suppose, à manger le sel de déneigement, s’empoisonnant ainsi sans doute : je pile pour ne pas les écraser. (Sur le moment, ce n’est pas au beccroisé que je pense mais au tangara bec d’argent, de couleur pourpre, que j’observais naguère en Guyane ; j’en ai été, pendant un bref instant, stupéfait.) 

Il est difficile d’avancer, non parce que la route est mauvaise mais parce qu’elle est  belle. Les arbres alourdis de neige se penchent sur elle avec cérémonie. Le soleil apparaît enfin, qui illumine tout le paysage. Beauté proprement indescriptible. Mieux vaut passer en silence.

Et noter quand même en passant :

Le contraste entre le blanc éclatant et le bois sombre de certains chalets. 

Le roux des saules têtards eux aussi saupoudrés de neige, sur fond de neige. 

Les traces laissées à travers le grand champ par les cerfs et les chevreuils. 

On s’enfonce cependant dans la combe où stagne le brouillard, qui éteint tout. Flashes d’un gyrophare bleu quelque part en contrebas (c’est un camion de déneigement). Feu clignotant d’un véhicule arrêté, sans dommages apparents — je suppose que le conducteur, qui ne me fait pas signe, voulait observer les oiseaux. Même les mélèzes, si tristes passé l’automne, sont redevenus beaux, et même les clôtures semblent aussi élégantes que les chênes ou les châtaigniers. 

Sur le petit balcon de fer orné par des roses grimpantes (une ou deux fleurs sont restées), une vieille femme en robe de chambre jette un œil sur la route, et se réjouit de ne pas avoir à sortir. 

Je roule très lentement, déclenche au hasard l’appareil photographique que je garde avec moi. Tout le long de la route des hommes et des femmes s’affairent avec de grosses pelles. Sur la route assez raide qui monte d’Arvillard vers Beauvoir, une voiture est allée au fossé : son conducteur considère avec perplexité la situation puis, comme il n’y a rien à faire, regarde les arbres et la montagne enneigée. 

Ici il fait plus froid. La route est complètement blanche. La voiture jaune que je suis semble une incongruité au milieu de tout ce blanc (on pourrait penser à un œuf si la neige à nouveau éclairée par un soleil invisible n’était aussi éblouissante.) 

Les vaches dans la neige, que peuvent-elles donc brouter ?

Puis voici le collège, devant lequel attendent quelques élèves qui semblent désœuvrés, sans rien d’autre à faire que regarder la neige. 

 

2 février 2015

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